Le tombeau de Gustav Leonhardt
21 Janvier 2012 , Rédigé par Martin-Lothar Publié dans #Loups et loups-garous
« À sa plus grande gloire »
(Jean-Sébastien Bach, 1685-1750)
J’étais encore jeune ; j’étais déjà con ; j’étais dans mon lit, réveillé, sans doute à me gratter les choses entre mes deux, histoire de me demander, une fois de plus, à quoi sers-je, où cours-je ou encore, dans quel état j’erre…
J’étais déjà jeune ce dimanche matin dans mon lit de grasse matinée, à me retourner en écoutant, entre deux rêves, la voix de Jacques Merlet, causant grave, juste et clair dans le poste sur France Musique.
J’étais toujours jeune ce dimanche matin quand la voix s’est arrêtée…
Une seconde de silence et puis un souffle qui nait…
Une de ces haleines d’ange — qui passe, qui vient ; un courant d’air du paradis ; une vibration du tréfonds de la création ; un chant, un cri, un hurlement harmonisé, ordonné, magnifié de cinq-cent-mille ans d’humanité !
Le bonheur en diable à ressort quoi…
Deux flutes en os qui vous flutent soudain dans les esgourdes, tout doux, tout lent, funèbres, mais comme il faut pour ne pas vous faire peur ou pleurer ; qui vous fourrent dans les ouïes une sonatine du feu de tous les dieux et du claquement de tous les os, de tous les squelettes de tous les morts de tous les mondes.
Tout doux, tout lent, cadencé, tragique, à pas divins, magique, merveilleux, inoubliable.
Deux flutes en bois des forêts baroques : deux faunes, des jumeaux orphelins de chez Pan, dansant nus, larges, gracieux, évanescents, sur les boyaux en liane, sur l’humus soyeux, sur les fougères en cordes d’un ordre continu, d’une perpétuelle basse.
Ou d’un acte tragique, mais nécessaire, inévitable, indispensable…
Et quand les flutes se taisent, fleurit le chœur, les voix en aria ou en « chant ferme » puis reviens la plainte ultime, apocalyptique : « Komm ! »
…
Un requiem à réveiller les morts en douceur, en humanité, avec foi, espérance, avec charité avec « art » enfin et toujours…
Un « actus tragicus » de derrière les fagots des caves ou des greniers de l’Occident idéal ou perdu.
…
J’étais jeune ce dimanche quand j’ai écouté (réveillé à jamais d’entre les morts) la cantate funèbre (requiem) BWV 106, « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (Le temps de Dieu est bien le meilleur) » de Jean-Sébastien Bach, dirigée par Gustav Leonhardt (1928-2012)
Cette cantate est pour moi une « chose, un objet, un sujet » musical de premier ordre et ceux qui ne connaissent pas, devraient s’abstenir de causer musique à tout vent, voire à tout crin. (Ah mais !)
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Le loupissime maître Gustav Leonhardt est mort lundi dernier, le 16 janvier 2012.
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Je sais que ce noble musicien n’est pas mort tout à fait dans l’indifférence.
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Au risque (ah, ah !) de me faire engueuler et mépriser une fois de plus — mais j’ai pour totem le loup, non ? Et les caniches festifs à collier parfumé fluo peuvent bien aboyer en passant — J’affirme que le Gustav fut (est) à la musique ce que Steve Jobs (est) fut à l’informatique, na !
Il fut un père fondateur et réactionnaire en diable « baroqueux » et je ne vous raconte pas la gloire de ses potes et de ses élèves (Voir le lien sur Wikipedia) et moi, ça m’énervera toujours quand d’aucuns disent que le Gustav avait un style « froid, luthérien, batave, du nord et toussa » : à la fin de sa cantate 106, le silence n’engendre que grâce, enfin ! (Et c’est un baptisé fier catho-papiste-païen qui vous cause)
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Autre souvenir de Gustav : quelques années plus tard (je devais avoir trente ans ?), un dimanche après-midi, je suis allé au cinéma « voir » le film « Chronique d'Anna Magdalena Bach » qui se projetait sporadique dans une salle des Halles à Paris (même pas en « art & essai » — Gustav & consorts baroquisants étant inconnus, voire démonisés, à l’époque, en France, faut le dire).
C’était un jour d’hiver, il faisait beau et je pensais en prenant mon billet, me trouver tout seul, tout nu, dans une immense salle.
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Au générique, nous fûmes sans doute plus de cinquante à applaudir, soulés, camés, ce film où le Gustav « joue et incarne » JSB himself.
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Je vous dis ça comme ça hein !
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Allez, merci et adieu Gustav Leonhardt ; à Dieu ou à celui que tu sais désormais (ou pas) veinard !
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On t’aime Gustav ; reste avec nous.
Fin de loup
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