Cinquième conte du Quanta – Fausses-Reposes — 2/2
La légende de Fausses-Reposes.
Le blog de Michel Delaroche, parfait Dagovéraniens.
Billet du (suite)
On demanda aussi à Gédéon Mauve pourquoi Pignerole voua une telle haine pour de Casanove. Il précisa alors que ce dernier soupçonnait Pignerole d’être peu ou prou impliqué dans une série de viols suivis du meurtre de plusieurs jeunes filles et survenus dans la région pendant les années 1785. Du reste, quelques semaines après la disparition de Pignerole, de nombreux témoignages vinrent confirmer qu’il était sans aucun doute l’auteur de ces barbaries.
Gédéon Mauve fut condamné àmort et exécuté quelques semaines plus tard.
…
Le garçon est pris d’un pressentiment. Il s’arrête, fait demi-tour et revient sur ses pas en courant même un peu. Il parvient au sommet de la côte d’où il peut apercevoir déjàlointaine, la fille s’engager dans le raccourci. Il s’arrête pour souffler et remarque alors la silhouette d’un homme sortant des fougères et qui, d’une étrange attitude, pénètre à son tour dans le sentier.
Merde, mais qui c’est ce zombie ?
Le garçon se remet àcourir àleur poursuite du plus vite qu’il peut.
…
Le chien marche au pied de son maître en haletant. Ils n’ont rencontréaucun cavalier et curieusement, le maitre n’a remarquéaucune trace de sabot ou d’autre empreinte sur ce chemin pourtant boueux.
Par contre, il s’aperçoit que le ciel s’obscurcit de nouveau et un grondement lointain le prévient de l’arrivée d’un nouvel orage.
Bon, on va prendre une traverse, je n’ai pas envie de me faire saucer.
…
Le vagabond, par-derrière, entoure brutalement le corps de la fille et la bascule àterre. Prestement, il lui plaque une main sur la bouche. Elle se débat, mais en vain. Il se relève et l’étreignant toujours, il l’entraine dans les fourrés. Cinquante mètres plus loin, dans une clairière à l’écart de tout chemin, il l’a remet par terre sur le dos et se couche sur elle de tout son poids…
…
La légende de Fausses-Reposes.
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Billet dû (suite)
L’ouragan Lothar qui toucha le nord de l’Europe en décembre 1999, causa des dégâts importants dans une partie de Fausses-Reposes et en tant qu’ingénieur de L’ONF, responsable de ce secteur, mes dernières années professionnelles furent essentiellement occupées à tout remettre en état. Un jour de novembre 2002, mon équipe et moi nous étions en train de mettre à bas un magnifique et vénérable hêtre qui fut déraciné par le vent, mais qui évita sa chute par l’accrochage de ses branches hautes àcelles de ses voisins. Nous avons dû abattre trois autres arbres plus ou moins sains pour dégager celui-là.
Une fois par terre enfin, nous avons constaté que ses racines par torsion avaient éclaté le sol pentu alentour sur plusieurs mètres carrés et après éboulis, avaient découvert une profonde excavation qui était tout, sauf naturelle.
[…]
Le garçon passe àtoute allure l’endroit du rapt et continue ainsi jusqu’au débouché du raccourci sur un plus grand chemin.
Il s’arrête, hors d’haleine, pour scruter les alentours.
Ce n’est pas possible, je devrais les avoir rattrapés depuis longtemps. Je devrais les voir au moins. Merde !
Il essaie de reprendre un peu son souffle et il sent les larmes lui monter aux yeux. Merde, j’aurais dû la raccompagner…
Il retourne dans le sentier quelques mètres, en regardant les traces de pas sur le sol, mais tout est brouillé, indéchiffrable.
…
Le vagabond écrase la fille au sol et libère une de ses mains pour prendre un bâillon dans sa poche. Il parvient à sortir un foulard crasseux qui s’accroche alors à la pointe de la dague coincée dans sa ceinture. En tirant, il bascule un peu en libérant le bras droit de la fille qui, instinctivement, lui assène un coup de griffe sur le visage. Un des ongles lui entre dans l’œil. En hurlant, le vagabond se redresse et porte ses mains sur sa face.
La fille plie alors son genou qui percute l’entrejambe de l’homme.
…
Le garçon ne sait plus où se diriger ; il tourne sur lui-même ; il semble danser ; il est en transe ; son visage est blême et il pleure. Bientôt, il se fige pour faire face au maître qui le regarde curieusement. Nietzsche lui renifle alors les bas de pantalon, mais le garçon n’a même pas peur de ce très grand chien-loup. Il tend désemparé ses bras vers le maître et éclate en sanglots.
S’il vous plait, Monsieur, aidez-nous. Il va la tuer.
Une nouvelle fois, loin derrière le garçon, dans le brouillard, entre les troncs, le maître aperçoit la silhouette du cheval.
La légende de Fausses-Reposes.
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Billet dû (suite)
Les racines de l'arbre abattu avaient en effet libéré l'entrée de la cachette des Casenove et en fouillant un peu cette étrange caverne, nous avons découvert quelques objets apparemment anciens dont un pistolet en très mauvais état et surtout, un petit coffre en plomb que nous avons ouvert facilement pour y trouver des papiers, des documents, des lettres attestant le récit des derniers jours de cette malheureuse famille.
À l'époque, je ne connaissais rien de cette histoire et rien n'aurait dûm'en rapprocher si le soir même, je n'avais pas racontécette trouvaille à mon ami Jean R. qui n'est autre que l'actuel lieutenant de louveterie de la région, c'est-à-dire, le très lointain successeur dans cette charge de Charles-Henri de Casanove dont il suivait la trace dans toutes les archives du pays, quasiment tous les jours, depuis qu'il avait pris sa retraite d'officier de gendarmerie !
...
Un vent d'orage agite maintenant la cime des arbres ; le ciel s'obscurcit soudain et quelques gouttes viennent troubler le miroir des récentes flaques d'ornières.
La fille sort enfin des fourrés, affolée comme jamais ; elle retrouve une vaste voie sur laquelle, fébrile et muette, elle engage sa course contre la mort.
...
Le vagabond court furieux derrière la fille. Il la voit alors glisser dans la boue et s'étaler face contre terre puis se relever aussitôt, mais il est tout près d'elle et il l'attrape par les cheveux.
La fille pousse un cri strident et par contorsion, elle frappe àl'aveugle de sa main droite et détourne ainsi la dague qui l'aurait égorgée dans moins d'une seconde.
Le vagabond dérape à son tour et s'étale lourdement sur le sol ; la fille hurle de nouveau de toutes ses forces et se remet à courir.
...
Le maître et le garçon entendent un grondement de tonnerre et puis, tout de suite, le hurlement de la fille qu'ils aperçoivent enfin s'enfuir àmoins de deux cents mètres d'eux, poursuivie par le vagabond.
Le garçon se met àcourir ; le maître est stupéfait ; le chien dresse les oreilles.
Une puissante pluie d'orage infuse bientôt la scène et tout le paysage.
La légende de Fausses-Reposes.
Le blog de Michel Delaroche, parfait Dagovéranien.
Billet dû (suite)
À ce stade de ce blog — bien ancien et fort suivi, si j'en crois les statistiques — et à votre connaissance désormais de l'histoire de ce monsieur de Casenove, je tiens àvous entretenir de ma philosophie et de mon expérience intime de la forêt qui est le seul endroit où je me suis toujours trouvé et jamais perdu (je suis très fier de cette formule !) Oui, je vais vous causer de « métaphysique » bien que je sois un grand athée ou encore, un vrai païen devant l'éternel !
Pour moi, la forêt est beaucoup plus que cette « grande étendue plantée d'arbres » que mentionnent les dictionnaires ou ces lieux bobo-citoyens d'oxygénations sociales et urbaines, comme le déblatèrent tant de démagogues à la noix : une forêt est un être vivant à part entière et chaque forêt a « une âme particulière » et même plus, toute forêt a une mémoire, des sens et une intelligence comme tout un chacun.
Non, je ne sombre pas dans un « sylvomorphisme » de pacotille, rassurez-vous, mais d'après ma longue expérience de forestier, je peux vous affirmer que toute forêt se souvient et communique et même parfois agit, d'une façon ou d'une autre, pour la préservation de chacun des êtres, qu'il soit végétal, animal, insecte, champignon, voire humain...
Tout jeune étudiant, j'ai lu dans la bibliothèque d'un musée, les souvenirs d'un botaniste du dix-neuvième siècle qui affirmait avoir découvert dans une même forêt deux chênes du même âge, séparés l'un de l'autre de plus de vingt kilomètres et qui étaient en tous points identiques (même taille, même tronc et mêmes noeuds mêmes marques dessus, même distribution des branches) et de plus, ces deux arbres bornaient les orées de cette forêt dans un alignement géographique est-ouest quasiment parfait !
Je vous reparlerai plus en détail de cet incroyable jumelage dans un prochain billet, mais pour ce qui concerne « notre Fausses-Reposes » et « notre Casenove » vous verrez demain que mes rêveries métaphysiques et sylvestres ne sont peut-être pas aussi délirantes qu'elles paraissent.
[...]
La fille court toujours droit devant elle. Elle n'a plus la force d'appeler au secours ; elle se garde bien de regarder derrière elle pour apprécier la distance qui la sépare de son prédateur. Elle n'entend plus rien, car l'orage a lâché ses trombes ; elle sait qu'elle se dirige droit vers les étangs de Ville-d'Avray par un chemin qui bientôt, descendra en serpentant dans les taillis.
...
Le vagabond s'est relevé. Il a perdu quelques précieuses secondes àchercher sa dague, ce qui en a rajouté à sa rage, mais il sait qu'à la longue, il aura cette fille et qu'il la violera et qu'il la tuera. Ces mois d'errance après sa sortie de prison auront fait de lui un bon sportif et même àquarante ans, il sait qu'il cout plus longtemps et plus vite que cette gamine qui est àbout de souffle.
...
Le garçon n'est plus qu'àcinquante mètres derrière le vagabond. Malgré la pluie battante, il se sent des ailes. Il n'attend pas le maître qui est trop vieux pour courir avec lui, mais il a compris dans les regards qu'ils ont échangés quelques secondes plus tôt que ce bonhomme fera tout ce qu'il faut pour leur venir en aide.
...
Le maître s'est lui aussi mis à courir. Àsoixante ans bien sonnés, ce genre d'exercice n'est pas encore un danger pour lui, grâce à une carrière très sportive dans la Gendarmerie nationale et une vocation passionnée en tant que lieutenant de louveterie. Le maitre rattrape vite le garçon qui ne l'entend pas arriver. Le maitre tapote l'épaule du garçon. Ils s'échangent un sourire furtif : l'un comme l'autre sait ce que l'un attend de l'autre.
...
Le chien court aux pieds de son maître : il n'a qu'une attente ; il n'attend qu'un ordre qui arrive enfin :
Nietzsche, attaque !
Nietzsche attaque. Il part comme une flèche, la queue droite et les oreilles baissées et en quelques secondes, il est sur le dos du vagabond à qui il serre le cou, les mâchoires en étau.
La légende de Fausses-Reposes.
Le blog de Michel Delaroche, parfait Dagovéranien.
Billet dû (suite)
Figurez-vous : pendant les trois-quarts de sa période de lieutenant de louveterie, notre cher Casenove, ne rencontra et donc ne chassa jamais le moindre loup qui est pourtant le gibier, l'objet, le sujet principal d'une telle charge !
Toutefois, à paradoxe, paradoxe et demi et sans doute, par frustration, il advint que ce noble louvetier d'avant la Révolution Française, s'enticha de cet animal à tel point qu'il consacra les derniers jours de sa vie —recluse et secrète dans sa cachette de Fausses-Reposes — à rédiger un « essai sur les loups »dont on retrouvera le manuscrit inachevé dans le coffre en plomb enfoui sous l'arbre.
Plus fort encore, quelques années avant sa mort, Casenove entreprit un voyage dans le Gévaudan d'où il rapporta un couple de louveteaux qu'il apprivoisa et qu'il installa dans la tanière même où il fut assassiné. Ce sont ces deux loups qui tentèrent de le protéger lors de l'attaque du sinistre Pignerole et c'est un de leur louveteau qui sera le seul rescapé du massacre (mais pour combien de temps ?).
Dans cet « essai sur les loups », on peut lire, notamment, cette pensée assez cocasse venant d'un chasseur patenté de loups : « Une forêt sans loup est telle une forêt sans arbre ou une église sans autel »
Cet aphorisme est fort apprécié par l'actuel « Grand louvetier », mon ami Jean R., qui lui aussi, plus de deux cents ans après, voue une vénération sans limites pour notre canis lupus et il s'est engagé au moment de prendre sa retraite de gendarme, à compléter, annoter et faire publier « l'Essai sur les loups » de Casenove.
Inutile de vous dire que j'ai été le premier à en hurler de bonheur !
[...]
L'orage fait rage sur Fausses-Reposes. Le maitre et le garçon ont du mal àdistinguer la chasse de Nietzsche derrière le voile de la pluie.
Bientôt, ils perçoivent les silhouettes du vagabond toujours debout, le chien accrochédans son dos qui lui entrave le cou de ses mâchoires bien dressées à ne pas tuer, à ne pas trop blesser, mais à seulement arrêter.
Le vagabond ne bronche pas. Il sait ce qu'il a sur le dos et ce qui lui accroche le cou. Il a l'expérience de ce genre de chien : il ne faut pas se débattre sinon les mâchoires se serreront un peu plus jusqu'au sang. Tout doucement, il fait tourner le manche de la dague dans sa main pour en diriger la pointe de la lame vers le corps du chien-loup.
Tu perds rien pour attendre, mon loulou.
...
Le maitre se rend compte de la manœuvre du vagabond, mais il n'a pas le temps de crier un ordre au chien : un éclair déchire le ciel au-dessus de tout et la foudre tombe quelque part, non loin, avant qu'un clignement de cil plus tard, une ombre gigantesque ne surgit des fourrés pour emporter de l'autre côté du chemin, d'un seul coup, et telles des plumes, les corps du vagabond et du chien, pour disparaître tous enfin, happés dans un gouffre inexorable.
...
La fille arrive aux étangs de Corot. Elle s'assoit sur l'herbe d'une berge, sous la pluie diminuant. Elle ne se retourne pas encore. Elle a perdu une chaussure et son téléphone mobile. Elle n'a plus la force de paniquer ou de pleurer. Sur le parking, là-bas, elle aperçoit deux policiers àcheval.
...
Le maitre et le garçon sont devant le trou béant laissédans une ravine d'arbustes par le cheval, le vagabond et le chien.
Le garçon regarde le maitre :
Dites Monsieur, c'était bien un cheval, n'est-ce pas ?
Le maître est sans dessous-dessus. Le maitre aime Nietzsche par-dessus tout, son chien, comme le philosophe.
Je pense que c'était le cheval sans cavalier que j'ai déjà vu courir tout à l’heure.
Leur regard se croise et pour le coup, la pluie s'arrête de tomber aussi vite qu'elle était venue.
Allons-y, mon gars, il faut les retrouver !
Ils s'avancent, tels des alpinistes dans une descente très en pente et glissante, le garçon devant, parmi un taillis de jeunes pousses plantées serrées et aux troncs et aux branches desquelles ils s'accrochent pour ne pas dévaler.
Finalement, ils parviennent à une vaste clairière àplat où ils retrouvent le chien, couché sur le ventre, la tête entre les pattes, les yeux clos et tremblant de tout son corps.
Autour de lui, tout est dévasté comme si une tornade était passée.
Au milieu de cette clairière d'enfer, parmi les débris végétaux, le maitre et le garçon découvrent un épouvantable éparpillement de chair, de sang, d'entrailles, de membres et d'os humains : le vagabond n'est plus qu'un puzzle impossible, incroyable, écœurant.
Le garçon tombe dans les pommes. Il ne se réveillera que trois jours plus tard et il ne s'en remettra un peu que trois mois après.
Le maitre tente en vain de ranimer le garçon, puis le chien, tous les deux dans le même coma, mais vivants, même si l'animal lui, mourra — de peur — le lendemain.
Il sait qu'il est physiquement impossible que son chien ait commis un tel carnage en si peu de temps.
Nietzsche a vu ce que ce jeune gars ne verra et ne croira jamais.
Le maitre fait un rapide tour des lieux pour découvrir enfin la tête tranchée nette du vagabond reposant sur une sorte de tumulus moussu. Il perçoit d'emblée que cette mise en scène macabre n'est qu'un signe.
Je reviendrai plus tard pour savoir ce que tu as derrière la tête, mon vieux.
Il remonte la pente et au débouché, sur le chemin, il retrouve la fille et deux policiers montés.
La légende de Fausses-Reposes.
Le blog de Michel Delaroche, parfait Dagovéraniens.
Billet du 24 août 2012
Il y près de deux ans maintenant, je vous avais causé sur ce même blog (indestructible) de la fausse légende (et donc de la vraie histoire) du sieur Casanove, lieutenant de louveterie, qui fut assassiné pendant la révolution. (Voir le lien àgauche)
Je suis sûr que mes plus fidèles lecteurs se souviennent que j'avais fait allusion alors àl'actuel lieutenant de louveterie de Fausses-Reposes, et ancien gendarme, mon ami Jean R. qui vient de m'apprendre qu'il a été un des acteurs héroïques d'un malheureux fait-divers survenu il y a quelques jours et ayant entaché quelque peu l'excellente réputation de notre magnifique et ancestrale forêt.
C'est plus exactement son brave chien que je connais bien et qui porte le nom d'un philosophe allemand (que je ne vous livrerai pas ! Ah, ah, à vous de deviner !) qui a empêché une tentative de viol commise sur une jeune promeneuse versaillaise par un SDF bien connu des services de police (comme ils disent dans la presse) ?
Notre bon toutou est en effet intervenu au bon moment en sautant sur cet ignoble agresseur qui, légèrement blessé, a été, selon la presse toujours, déféré au Parquet de Versailles pour jugement sur le champ.
Comme quoi « notre Fausses-Reposes » est vraiment sécurisée : les bons louvetiers veillent chaque jour au grain !
[...]
Le garçon est assis dans la salle d'accueil de la maison de repos où il se fait soigner depuis près de trois mois. Il est en pyjama et en robe de chambre et il feuillette nerveux le magasine « la Hulotte »auquel il vient de s'abonner.
Le garçon va bien maintenant. Ses parents, la fille et les parents de la fille sont venus souvent le voir et lui parler pour l'aider àoublier cette histoire.
Mais aujourd'hui, le garçon attend le maitre à qui il voudrait poser une question qui lui permettra àjamais de purger son cauchemar.
...
Le maitre arrive.
— Ça va mon gars ?
— Ça va, Monsieur.
— Tu lis un fameux journal !
—Oui, c'est passionnant et ça m'aidera pour mes études de forestier.
— Ah, tu veux devenir forestier, c'est un beau métier en vérité.
—Oui, j'adore les arbres et tout ce qui va avec.
— Je te présenterai mon ami Michel Delaroche, c'est un ancien ingénieur de l'ONF.
—J'aurai grand plaisir à le connaître, mais comment va Nietzsche ?
— Il va très bien merci. Mais il vieillit mal. Il prend trop de poids.
—Dites-moi, Monsieur : ce jour-là, vous avez vraiment vu un cheval ?
— Eh bien...
—Dites-moi, Monsieur, je vous en supplie !
—Pour tout te dire, mon gars… Mais on y voyait très mal hein...
—Oui, moi aussi Monsieur j'y voyais très mal...
— Eh bien, pour ma part, j'ai cru voir un loup, un loup de la taille d'un cheval, voilà.
—Merci Monsieur, j'ai vu la même chose que vous. Je ne suis pas fou alors...
...
Le maitre n'avouera jamais, ni au garçon, ni à la fille, ni à son ami Michel Delaroche, que son chien Nietzsche est mort le soir même du drame sans avoir rouvert les yeux.
…
Le maitre n'avouera jamais, ni au garçon, ni à la fille, ni à son ami Michel Delaroche, que la veille même de sa visite au garçon, il est revenu sur les lieux du carnage, trois mois plus tard, pour aller fouiller le tumulus sur lequel la tête du vagabond avait été déposée peut-être, au hasard...
Le maitre n'avouera jamais qu'il a alors découvert plusieurs crânes : celui d'un adulte, de deux enfants et de deux jeunes loups.
Le maitre n'avouera jamais, ni au garçon, ni à la fille, ni à son ami Michel Delaroche qu'il a détaché des ossements humains une bague aux armes des Casenove et deux amulettes enfantines à l'effigie de loup.
…
Le maitre n'avouera jamais que de longues recherches généalogiques lui ont démontré que la fille est une descendante directe de la fille ainée de Charles-Louis de Casenove et que le garçon est un descendant tout aussi direct de Gédéon Mauve, le complice des assassinats qui paya pour tous les autres.
De plus, le maître usa de tout son pouvoir pour que la presse ne mentionne jamais le nom de famille du vagabond : « Pignerole »
...
Le maitre ne dira jamais non plus où il a trouvé ce louveteau de trois mois qu'il a adopté et qu'il a baptisé « Nietzsche ».
Martin-Lothar, le 24 août 2012.
Note du loup
Les noms des personnages de cette nouvelle (Michel Delaroche, Charles-Henri Casenove, Gaétan Mauve et Pignerole) sont autant de pseudonymes que l'écrivain, poète, chanteur, trompettiste et compositeur Boris Vian utilisa pour signer ses œuvres.
Le nom du « maitre » (Jean R.) est une allusion directe au lupissime biologiste et philosophe, Jean Rostand qui fut un ami d'enfance de Boris Vian et par conséquent, comme lui, un parfait Dagovéranien (habitant de Ville-d'Avray).
Nul doute, ces deux fameux loups-garous ont arpenté et connaissaient comme moi et comme leur poche (zeugme) cette étonnante forêt de où je devins moins également certes, un véritable loup-garou, en lisant notamment un philosophe —français, celui-là, mais c'est une autre histoire, que je vous raconterai, ou pas...
Illustration : Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) Ville-d’Avray avec sa mère, (vers 1867) huile sur toile, National Gallery of Art, Washington D.C. Amérique.
Fin de loup