De la castramétation
La castramétation, comme
tout le monde le sait, est la technique du choix et de la disposition d’un camp.
C’est une des plus anciennes science du monde dans la mesure où l’Humanité (pas le journal hein !) a fait ses débuts dans l’errance la plus patente (de campement, évidemment) qui soit
Ce mot, militaire en diable, nous vient des Romains qui furent particulièrement doués et fous en la matière par le latin « castra » (camp) et « metari » (mesurer, étudier)
Les mots français « camp », « campement », « campeur » et « camper » viennent du Picard du siècle n° 15 et ont été empruntés au latin « campus » (champ) universitaire, d’honneur
ou bucolique et avec une clé en tapis de sol (majeur).
Il y a d’ailleurs non loin d’Amiens en notre belle province de Picardie, un antique « camp romain » qui fut transformé en un remarquable site archéologique, historique,
artistique, culturel et touristique du nom de Samara (Nom antédiluvien de la Somme, rivière dont l’eau abreuva mon enfance) et dont je
reparlerai évidemment.
La Picardie étant si près de l’Angleterre que nos campeurs picards ont traversé un jour la Manche à la nage ou en pédalo pour aller y faire du « camping »
Le franglais « camping » est revenu snobinard en France vers 1905 où il a planté ses tentes, ses chiottes, ses caravanes et ses poubelles partout.
Le bivouac (ou « biwacht ») a été installé pour la première fois chez les Helvètes alpins de chez Germain et il fut monté à part et en Suisse par un « bi » (auprès) et
un « wacht » (surveiller, regarder) de bonne garde et d’autres veilles nocturnes et froides.
Beaucoup d’entre nous font donc de la castramétation sans le savoir ne serait ce qu’en cherchant sur le net un camping pas trop dégueulasse pour les vacances.
La « belle étoile » est la technique la plus simple de castramétation, mais c’est souvent aussi la moins confortable et celle qui réserve le plus de surprises, agréables ou pas.
Tiens, tout cela me rappelle la mésaventure d’une bande de jeunes et de joyeux drilles qui, menacés par l’orage, décidèrent de suspendre leur course en moyenne montagne et de se replier pour la
nuit dans un village de bergers abandonné.
Hélas, les ruines roncières et bourdonnantes de mousse et de faune ne leur furent d’aucun secours si bien que le chef de la bande décida d’installer le campement dans l’endroit le plus
hospitalier qui fut alors : Le cimetière !
C’est vrai que c’est un lieu de repos et en quelque sorte un endroit idéal pour les grands campeurs devant l’Eternel.
Ce cimetière n’était plus « alimenté » depuis bien longtemps, mais les braves morts qui s’y faisaient chier en vers et contre tout comptaient encore dans la contrée des vivants soucieux de leur
bien-être, de leur souvenir et de l’entretien des lieux.
Les quatre tentes furent donc montées en un tournemain dans un encart exempt de toute tombe, à l’abri du vent grâce à un mur impérissable et sur un sol propre et sans déclivité.
Un abri de service et de fortune révéla un trésor de bois sec et de brindilles qui mit le feu au camp et aux cœurs dans le jour faiblissant et sur les flammes desquels nos jeunes campeurs firent
cuire leurs brochettes de saucisson et de réglisses ou leurs nouilles au carambar et au chocolat.
Les bouteilles de coca ou de limonade moussèrent quand le ciel se chargeait de déluges et de catastrophes en effaçant ainsi tout espoir de belle ou de bonne étoile…
Il y eut alors un léger coup de vent, une goutte, puis deux, puis trois et enfin un déluge que même Noé en aurait jeté l’éponge ou l’écope.
Nos jeunes héros s’engouffrèrent aussi sec dans les toiles et les duvets.
On fera la vaisselle demain matin hein chef ?
Le « oui » du « Duce » fut inaudible parce qu’il y eut alors un tel feu d’artifice que l’on crut que Zeus avait pété trop grave les plombs et pour toujours.
Bref, ça déchirait et vomissait dur tout azimut « à en réveiller les morts » comme ricana jaune ce crétin lourd de Xavier qui se prit aussitôt une grosse baffe nerveuse du chef (Bien fait, quel
con ce con hein !)
La science de la castramétation vous apprendrait vite qu’il ne faut pas établir son campement sur un sol trop en pente ni pas assez.
Le problème des terrains trop plats et trop secs, c’est qu’en cas de grosses pluies, la flotte ne circule pas et a une légère et fâcheuse tendance à s’inviter dans les tentes…
De plus, si le terrain est un peu sablonneux, les piquets de tentes (ou sardines) n’ont plus aucune tenue dans la boue qui se forme et bientôt, ces sardines se transforment en éperlans à marée
montante en giclant comme des folles en chaleur.
L’effondrement des chapiteaux est vite consécutif.
La stupeur des campeurs déjà trempés dans leur duvet fait alors place soit à une panique totale pour les uns, soit à un gondolage à pleurer pour les autres, du genre plus mort de rire tu meures
!
Nos preux chevaliers campeurs jaillirent alors de leurs abris sinistrés, pieds nus, en slip ou pas pour, sous une pluie battante et dans le déchaînement des foudres, les rebâtirent à la hâte ; en
retendre les cordes ; replacer les piquets et consolider les pieux avec tout ce qu’il leur tombait sous la main, le pied ou le genou.
L’orage passa enfin ; les duvets furent essorés ; les tentes furent écopées et les corps frissonnants, écorchés, fatigués et presque fiévreux furent séchés tant bien que mal.
Ils se recouchèrent tous, en espérant trouver vite un sommeil mérité et réparateur.
C’est alors qu’un petit vent, une légère bise de rien du tout se leva et dans une taquinerie vicieuse, s’ingénia à faire trembler, trembloter, vibrer, sonner, crisser, craquer, claquer tout ce
qu’on peut trouver de plus sinistrement sonore dans un endroit tel un cimetière abandonné des montagnes.
« Hé les gars, c’est quoi ce bruit ? »
« Hein ! quoi, quel
bruit ? »
« C’est rien, c’est une tôle agitée par le vent, dors ! »
…
« Hé les gars il y a quelqu’un qui marche dehors !
»
…
« C’est ce con de Xavier qui est allé pisser,
tais-toi, dors ! »
« Mais non, je suis là moi hein ! »
« Hé ! Qui est dehors-là ? »
…
« C’est sûrement pas moi hein ! Oh non, j’irai jamais tout seul là ! »
« Ta
gueule Xavier, merde ! »
…
« Bon, je vais aller voir
et puis ça tombe bien, j’ai envie de pisser »
« Reviens vite chef, nous laisse pas tomber hein ! »
…
« Aïe ! »
« Quoi aïe ? Qu’est ce qu’il y a chef, t’es où, dis t’es où ? »
« Rien, je me suis cogné le pied. Tout va bien, y’a rien, je pisse, dormez merde ! »
Tout aurait pu se terminer là et nos jeunes campeurs auraient pu enfin s’endormir sur leurs deux oreilles et leur oreiller de fortune
et d’humidité si la nuit n’avait pas ses terreurs, ses secrets et surtout, ses oiseaux.
Celui-là était d’une espèce mal
connue de nos héros : Un oiseau de proie, un prédateur à plume, au bec et aux ongles ravageurs et par-dessus le marché, les tombes et le cimetière, il était armé du cri qui tue à réveiller grave
tous les damnés momifiés ou gélatineux de la terre !
Une sorte de hululement hurlé, criaillé, tabagique, vociféré, rauque,
déchirant, déprimant entre le chat qu’on castre, le gond rouillé, le cochon qu’on égorge, la craie du tableau, le disque dur qui lâche et le bébé qu’on prive de son doudou.
Un truc inaudible, impossible, irréel, époustouflant, incroyable, surnaturel, glacé, rauque, criard, gélifiant, mortifiant, terrifiant enfin
!
En entendant ça, le chef de la troupe, le dur, le tatoué, le balafré ; le celui qui soigne son acné au canif chauffé à blanc ou au sable chaud ; le celui qui fume des Marlboro par l’anus ; le
celui qui des couilles en plomb armé ; le celui à qui on ne l’a fait jamais et qui a tout vu, des vertes, des glauques, des vérolées comme des pas mûres ; le celui qui connaît tous le poil des
arbres, des oiseaux, des lapins, des filles et des champignons, en a remis incontinent sa bitte dans le froc sans même avoir fini de pisser et revint à la tente en hurlant
:
« Allez les mecs, on dégage d’ici, et fissa ! »
Et
c’est ainsi que, quelques minutes avant l’aube, dans une panique indescriptible, notre jeune troupe plia son camp, pour aller le planter de nouveau dans une clairière à moins d’un kilomètre du
sinistre cimetière.
Bref, ils décampèrent dans les règles de l’art.
Certes, ils eurent droit à une matinée grasse et furent exemptés quelques heures de vaisselle, mais bon…
Comme quoi, si la castramétation est bien la science de l’installation des campements et des bivouacs au mieux du potable, c’est aussi l’art de foutre le camp le plus
vite possible !
Fin de loup