Les runes du loup-garou — fragment n° 99 — Blaze de Richard Bachman (Stephen King)
J’ai trouvé çà, au fond de ma tanière, parmi les feuilles et les ossements :
« Ils s'installèrent dans la cabine d'un photomaton, dans un grand magasin, et prirent plusieurs photos : Blaze et John
seul, puis ensemble. Dans celles où ils sont ensemble, on les voit rire. Il firent encore un tour dans le métro mais, au bout d'un moment, Johnny se sentit malade et dégobilla sur ses tennis.
Puis un noir s'approcha d’eux et se mit à hurler des choses sur la fin du monde. Il semblait dire que c'était de leur faute, mais Blaze n'en était pas certain. Johnny lui dit que le type était
cinglé. Et qu'il y avait beaucoup cinglés dans les villes. « Ils s'y reproduisent comme des poux », ajouta-t-il. »
[…]
« On vieillit, qu'est-ce que tu veux. Toi, c'est quelque chose qui t’échappe, mais tu comprendras un jour. On vieillit.
Mais la vie qu'on a eue commence à apparaître comme un rêve confus pendant une sieste. Tu me suis ?
Oui, répondit Blaze qui n'avait rien compris. »
[…]
« Personne ne se plaignait. La vie d'un enfant était en jeu. Les flocons qui tombaient ne faisaient que renforcer le
sentiment d'urgence surréaliste qu'ils éprouvaient. On aurait dit les acteurs d'un vieux film muet, un mélodrame sépia dans lequel le méchant ne faisait aucun doute. »
[…]
« John faisait partie de l'équipe chargée du ramassage des citrouilles dans le carré nord du jardin de la Victoire. Il
y prit froid, tomba malade, mourut. Oui, aussi vite que ça. Transféré au Portland City Hospital pour Halloween pendant que les autres garçons étaient en classe sur place ou à l'extérieur, il
mourut dans le pavillon des indigents et y mourut seul.
On défit son lit, à Hetton House, et on y mit des draps propres. Blaze passa l'essentiel de l'après-midi assis sur le sien à
regarder celui de John. Le dortoir tout en longueur qu'ils appelaient « le bélier », était désert. Les autres étaient allés aux funérailles de John. Pour la plupart, c'était la première
fois qu'ils assistaient à un enterrement, et cette idée les excitait.
La vue du lit de John fascinait et effrayait Blaze. Le pot de beurre de cacahouète qu'il avait toujours vu coincé entre la
tête du lit et le mur avait disparu ; il avait vérifié. Les crackers également (après l'extinction des lumières, Johnny disait souvent : « tout a un meilleur goût sur un cracker Ritz, même la
merde », ce qui ne manquait jamais de faire pouffer Blaze). »
[…]
« ...Sinon les oiseaux. Des corbeaux, surtout. Près des cimetières de campagne, on trouve toujours des corbeaux. Ils
arrivent, se perchent sur une branche puis s’envolent pour aller là où vont tous les oiseaux. »
Note du loup
Feue Gothic Inside, lectrice, commentatrice et amie, cultivait une passion pour Stephen King, le maître du suspens et de
l’angoisse, comme elle disait, les yeux pétillants. Pour ma part, je lui préfère le plus intérieur, philosophe et tout aussi palpitant, Richard Bachman, sachant que King (roi) est à Bachman
(l’homme du ruisseau) ce que Mr Hyde est au docteur Jekyll.
J’ai déjà publié une rune sur le roman « Rage » de Bachman, rune, qui fut commentée par Gothic qui me poussa alors à
lire d’autres oeuvres de King/Bachman. J’ai ainsi lu le « pur king », « la tempête du siècle » (dont le titre me séduisit d’emblée eu égard à mon pseudo) et ce roman
« Blaze » qui est du pur jus de Bachman.
Si l’on en croit la quatrième de couverture, Blaze serait un « polar »…
Bon, je m’arrête illico sur ce terme de « polar », sur ce genre de roman « policier », sur ces contes de
crimes, sur ces histoires de brigands, de gendarme et de voleur pour préciser, selon moi, qu’il ne s’agit que d’une sorte — bien moderne — d’ouvrages à classer dans certains rayons de librairie
ou de séries d’édition sachant que, selon le talent voire le génie de l’auteur, ces bouquins seront souvent de classe, de style et d’épaisseur bien divers. Les Sherlock Holmes, le San Antonio,
les Maigret, les brigades mondaines, par exemple sont autant de « polars » que le « Roman de la Rose » d’Eco, « l’Hamlet » de Guillaume Shakespeare ou encore, les
quatre Évangiles (où l’on s’interroge encore, tant sur l’identité tant de la victime, des assassins et des témoins que sur la disparition du cadavre et le mobile du crime)
Blaze est donc un roman policier dont le synopsis semble ténu, à priori : dans les années 70 de l’est étasunien, deux
paumés, George et Blaze projettent d’enlever l’héritier d’une famille richissime, un bébé nommé Joe Gerard afin de l’échanger contre une rançon de plusieurs millions de dollars.
Le roman décrit l’organisation du rapt, son exécution jusqu’au dénouement que je vous ne révélerai pas sachant que Bachman
n’étant pas King, la fin de l’histoire ne sera visitée par aucune force surnaturelle ou autre deus ex machina tellurique ou pas.
Un banal récit somme toute, et dès lors, il faudrait beaucoup de talent stylistique et une puissante verve pour intéresser le
lecteur quelques pages ou pour éventuellement transformer ce scénario en chef d’oeuvre.
À cet égard, il faut convenir que Stephen King et son « revers » Bachman n’est pas un génie de style ou de souffle
textuel : le vocabulaire est pauvre, les phrases d’une simplicité rustique, le rythme est lapidaire, et le tout est parfois frustrant, voire décevant, même si une telle transparence de style
est toujours d’une indéniable efficacité et d’une grande souplesse d’écriture et de lecture, in fine.
En fait, la haute valeur de ce roman, le plus grand intérêt de cette fiction est la réalité, la consistance de ses personnages
et en particulier, des deux principaux, Blaze et George.
Dans la préface de ce roman, Richard Bachman fait en ce qui les concerne, explicitement allusion à George Milton et Lennie
Small, les deux « héros » des « Souris et des Hommes » de John Steinbeck (1902-1968) publié en 1937.
Blaze et George sont en effet, eux aussi, des personnages « hors norme »
Le roman de Bachman débute par les préparatifs du rapt et en particulier par le vol d’une voiture dont l’exécution sera confiée
par George (le cerveau génial et cynique de ce binôme de voyous) à son stupide acolyte au front troué, Clay Blaisdell, dit Blaze (flamme) qui est une sorte de colosse idiot, de géant débile
« aux mains destructrices » au grand coeur et au cerveau ramolli, démoli dans son enfance par une raclée de son père.
Au fil des premières pages, le lecteur s’aperçoit que « quelque chose » ne va pas du côté de George qui est pourtant
très actif dans le récit, mais dont la réalité devient de plus en plus « bizarre », « douteuse »
Je ne vous en dirai pas plus, sachant, qu’une fois encore, il n’y a rien de « surnaturel » dans cette
histoire.
L’intérêt de ce roman réside aussi dans sa structure : le récit de ce kidnapping est entrecoupé par celui de la jeunesse de
Blaze qui devient à force, le sujet principal du roman à un tel point, qu’on se désintéresse quelque peu de l’histoire criminelle voire que l’on se fiche même du dénouement sur lequel George a
son projet, les policiers leur intérêt et Blaze, son rêve…
Car la jeunesse de ce Blaze est à pleurer : enfance massacrée par une mère souffreteuse et vite disparue et surtout, par un
père alcoolique, brutal, irresponsable. Son adolescence se passera dans un sinistre orphelinat esclavagiste parmi des camarades pervers et moqueurs de sa débilité et des maîtres brutaux et
incompréhensifs. Après, la prison, la galère de petits métiers, les vols, les assassinats, les escroqueries and so, and so…
Blaze aura toutefois quelques courtes embellies dans cette vie brumeuse, impitoyable : lors d’une fugue à Boston avec son
seul pote John Cheltzman (première citation, ci-dessus) et lors d’un été dans une ferme où il « faillira » être adopté par un père idéal.
Mais le camarade John mourra trop tôt (quatrième citation) et la prochaine main tendue que Blaze trouvera par la suite, sera
celle de George, une espèce d’ami diabolique.
Ce roman ne manque pas toutefois de sourires (un peu amers, c’est vrai) que l’on aura lors de scènes assez cocasses comme par
exemple le braquage d’une épicerie ou encore l’achat par Blaze, cette brute épaisse, d’un nécessaire à bébé…
La fin de cette histoire, bâclée aux dires de certains, la morale de ce récit pourra être magnifiée selon moi, par une sorte de
transcendance, de sublimation que je traduirais maladroit, par la légende de Saint Christophe sauvant en portant un enfant sur son dos (CF la fuite de Blaze avec le bébé dans la campagne
enneigée) bien que tout compte fait, ce soit plutôt l’enfant qui supporterait le géant…
Ou encore peut-être, nous penserons au « roi des Aulnes ». Pourquoi pas ?
Vous l’aurez compris : je vous recommande ferme la lecture ou la relecture de ce roman « Blaze » de Richard
Bachman paru en 2008.
Gothic Inside, toi qui n’es plus toi désormais ; toi qui ne liras pas cette rune : toi qui ne la commenteras jamais, je te
la hurle quand même en ne me lassant d’espérer, de parier, qu’après la vie, les connections et les réseaux persistent reliant pour l’éternité, pour l’amour, pour la grâce, la ferveur des vivants
et des morts enfin réunis.
Gothic Inside, je ne sais pas si, là où tu es, tu croiseras le chemin d’un de ces Blaze, mais dans l’affirmative, je suis
persuadé qu’une telle âme en peine trouvera par toi, enfin, tout le réconfort, l’intelligence, l’amitié, l’amour, le bonheur que nous te savons avoir déjà prodigués profus.
Gothic Inside, je ne me lasserai jamais de rêver qu’il y a des bibliothèques, des librairies, des écrans et tout ça, là où tu es
maintenant, là où tu existes désormais et à jamais, là-haut, là-bas, dans l’au-delà, dans l’après de la Grande Tombe.
Voir aussi :
Rune n° 96 : « Rage » de Richard Bachman
Sur Gothic Inside
Illustration : Hieronymus BOSCH (vers 1450-1516) Saint Christophe, huile sur toile (113 x 72 cm), Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam, Europe.
Fin de loup