Huit mai, oui mais de l’an 13
Tiens, nous sommes le 8 mai 2013 à fêter commémorer (ou pas) la victoire de 1945 qui, si elle mit fin a pas mal d’horreurs, fut aussi le
commencement de bon nombre d’autres réjouissances plus ou moins rigolotes. Mais bon, l’Europe n’étant pas un fleuve, elle ne peut être de fait ou de fête, un long fleuve tranquille.
À propos de fleuve, d’Europe et d’autres occidents, retournons deux mille ans en arrière, un huit mai de l’an 13 (à plus vraie et julienne date), sur les bords du Tibre où un certain Caius Octavius Thurinus dit Octave, puis Auguste, pas le clown, mais le premier empereur de Rome et dans la foulée de l’Occident, commençait sans doute à écrire son testament en pensant avec émotion à son papa adoptif, un certain Jules et néanmoins autre César.
Il faut dire que l’Auguste à cette époque, était déjà plus ou moins à la retraite et avait délégué pas mal de ses pouvoirs à celui qui lui succédera à sa mort, quelques mois plus tard en 14 sous le pseudo de Tibère, et si du haut de son palais palatin, en fignolant ses codicilles, il pouvait avoir la légitime fierté d’admirer tout Rome dont il avait transmuté les pierres d’argiles ou d’autres sueurs en blocs de marbre, il ne devait pas ignorer que ce grandiose et impérial édifice n’était pas exempt de fissures, voire même de méchantes et quantiques lézardes.
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Tout avait (mal) commencé quatre ans plus tôt, en l’an 9, lors de la bataille de Teutobourg où l’armée romaine prit — des Germains, mais pas cousins —une baffe mémorable, sanglante, obélixienne et tragique comme elle n’en avait pas reçu depuis des lustres, voire des calendes romaines ou grecques, peu importe. (J’en avais déjà causé sur ce blogue : voir le lien en fin billet, mais pas tout de suite parce que je cause là).
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Par ailleurs, dans tout l’empire, ce n’était que mauvaise humeur, révoltes, trainages de pieds ou de sabots, complots, récriminations, ras le bol d’impôts et de taxes à la con, désir d’indépendance ou autres tentatives d’invasions par de blonds puants barbares tatoués de tout poil mal rasé ou peigné et qui en plus ne parlaient même pas français.
Et puis en Judée, en Galilée, en Palestine quoi, un certain peuple juif continuait (déjà) à gonfler les burnes du monde entier avec ses prophètes, ses blasphèmes, son cadastre, ses bibles, son temple, son unique dieu égal pour tous dont le fils à Papa, lui aussi unique — mais qui fera la carrière que l’on sait — n’était pas encore barbatus, ni juventus, mais un petit con comme les autres qui se branlait grave sur sa PS2 en s’énervant à des jeux comme GAme of ThrOnes ou autres CiviliZation.
Notre auguste César, notre premier princeps (législateur, sénateur-chef), notre premier imperator (général en chef des armées), notre premier pontife (chef des cultes — …), notre premier père de la Patrie (…) sait bien tout cela en l’an 13 et du reste, sa plume testamentaire hésite et hésite encore à graver le nom de son successeur : César, Drusus ou Claude.
En fait, après lui le déluge et surtout, la Grande Mutation ; après lui, le Grand Pan.
Comme un autre empereur d’Occident, huit cents ans plus tard : un 11 septembre (!) 813 : Charlemagne donnera le titre impérial à son fils Louis et posera lui-même la couronne sur sa tête blonde à l'assemblée générale de l'empire carolingien à Aix-la-Chapelle. Un an plus tard, en 814, les gens terrifiés liront un testament tout autre et foutrement plus quantique…
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Ce brave empereur Auguste devait aussi dans ces rêves visionner les angoisses d’un encore autre empereur d’Occident, un des multiples rejetons du chef barbare qui extermina trois de ses légions, leur louve et leur aigle en l’an 9 ; un empereur d’Allemagne celui-là et nommé Guillaume II qui, en 1913, déclarera au roi Albert Ier de Belgique que « la guerre contre la France est inévitable ».
Dès lors, sachant qu’Auguste de Rome aimait autant la guerre, la paix, que la beauté, lui-même, la nature, les arts et l’Homme, transportons-nous quantiques en 1913.
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En fait et en 1913, l’Europe se suicide et tous les jeunes et fringants chirurgiens du monde entier se précipitent sur son billard de chevet, et comme ils ne peuvent pas s’encadrer entre eux, ni d’Ève, ni du vert Adam, c’est une boucherie sans nom.
En 1916, les médecins signifient que son pronostic vital est engagé et qu’il faut dès lors une transfusion urgente et massive de sang : de nombreux jeunes et même, de trop nombreux jeunes donneurs du monde entier se présentent alors pour se faire pomper jusqu’à l’anémie et la mort. (Avez-vous déjà visité des cimetières américains, australiens ou canadiens ou d’autres poils dans, par exemple, notre beau département de la Somme picarde & lotharingienne du 8-0 ?).
En 1918, notre chère Europe meurtrie sale semble sauvée, mais tout le monde feint d’ignorer qu’une putain de gangrène se propage tous azimuts.
En 1945, un huit mai (il n’y a pas de mais qui tienne hein !) après encore moult transfusions délétères, ils annoncent qu’elle serait enfin guérie de ses plaies suicidaires.
Son cancer qui traverse les murs, les tours de garde, les mea culpa comme la honte peut enfin métastaser profus et en paix et sauf erreur de diagnostic en 2013, il se porte comme un charme ou un diable éternel et à ressorts…
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Bon sinon, pour les poètes restants ou disparus d’autres littératures, en ce 1913 européen suicidé, en France, parurent (notamment) :
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes ;
Gustave Flaubert, le Dictionnaire des idées reçues (posthume) ;
Charles Péguy (RIP en tranchée de 1914), L'Argent ;
Joseph Staline, le Marxisme et la question nationale (traduction) ;
Guillaume Apollinaire (blessé migraineux et en tranchée), Alcools ;
Louis Hémon, Maria Chapdelaine ;
Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France ;
Roger Martin du Gard, Jean Barois ;
Octave Mirbeau (RIP méprisé un 16 février 1917), Dingo ;
Louis Pergaud (de la Guerre des Boutons, RIP en tranchée de 1915), Le Roman de Miraut ;
Marcel Proust (planqué des tranchées ?), Du côté de chez Swann (et autres recherches de temps perdus ou pas) ;
Arthur Conan Doyle, La Ceinture empoisonnée (traduction) ;
Maxime Gorki, L’Enfance (traduction) ;
Herman Hesse, Robert Aghion (traduction) ;
Jack London, Le Cabaret de la dernière chance & La Vallée de la lune (traductions) ;
Et enfin, ze last but not the least (comme on disait dans les tranchées de 18, de 45 ou comme on dira dans celles de 2014), un romain, un autre vrai Jules qui vit aussi le mauvais œil comme le bon d’Auvergne, d’Ambert, d’Issoire, voire de Gergovie ou d’Alésia :
Jules Romain, les Copains.
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Ave Europae Lupa
vivatori te salutant
Lien : la bataille de Teutobourg en l’an neuf (ou pas)
Illustration : une pièce de huit euros frappée en l’an 13 (après qui vous savez) à l’effigie du premier empereur romain César Octave Auguste et portant la mention : César Auguste père divin de la Patrie. (À l’époque, aux Champs-Élysées comme aujourd’hui à l’Élysée, les mollets poilus gonflés, ça y va hein !)
Fin de loup