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Martin-Lothar

Neuvième spectre (Un jeune clandestin)

6 Février 2007 , Rédigé par Martin-Lothar Publié dans #Runes

Jack Taler naquit le 8 avril 1899 dans le quartier du port de Southampton en Angleterre.
Il se plaisait à dire que ses ancêtres furent des marins depuis que l’humanité inventa la navigation.
Son grand-père était pécheur et son père était matelot sur divers navires d’une importante ligne marchande de la ville.
Jack disait en outre avec angoisse, mais aussi avec fierté que depuis au moins dix générations, aucun de ses aïeux de marins n’étaient morts dans leur lit dans la mesure où ils avaient péri soit dans un naufrage, soit par une maladie à des milles et des milles de Southampton.

Quand il eut huit ans, ses parents le placèrent dans une institution caritative afin qu’il apprenne à lire et à compter ce qu’il fit avec zèle pendant deux années jusqu’à la mort tragique de son père.
A dix ans, comme bon nombre des gamins pauvres de son quartier, il a dû alors travailler dans divers petits boulots de circonstance : Vendeur de journaux, cireur de chaussures, ou sur le port, petite main à tout faire au service des pécheurs, marins ou dockers.
C’est à cette époque que son frère aîné John s’embarqua comme mousse à bord d’un cargo américain.
Jack ne le reverra jamais.

L’enfant toutefois ne rêvait que d’une chose, c’était de s’embarquer lui aussi et aller jusqu’en Inde ou en Chine où il savait que des aventures extraordinaires et une vie enivrantes n’attendaient que lui.
Hélas, n’ayant encore pas quinze ans, aucun capitaine n’accepterait de le prendre à son bord et Jack se faisait très mal à l’idée de ronger son frein pendant ces cinq années.

Deux ans plus tard, il ourdit le projet de s’embarquer clandestinement à bord d’un navire et comme il faisait largement plus que son âge, il comptait une fois en pleine mer, forcer la main de l’équipage en se proposant comme mousse et commencer ainsi sa carrière de marin comme tant d’autres le firent avant lui.

Un jour du printemps de ses treize ans, Jack apprit qu’un petit cargo marchand anglais le « White Star » s’apprêtait à larguer les amarres pour Madras.
Avec la complicité de quelques dockers, il se renseigna sur l’entrepôt abritant les différentes caisses à charger sur ce bateau et parmi elles, il repéra la « malle de survie » qui contenait les vivres et les matériels à utiliser en secours en cas d’avarie ou d’immobilisation intempestive du navire.
L’intérêt de ce conteneur est qu’il n’était jamais scellé ou cadenassé, mais fermé par le simple emboîtement du panneau supérieur ; qu’on le chargeait en dernier et qu’on le plaçait avec soin bien à part dans les soutes.
Le jour du chargement, à l’aube, Jack pénétra dans l’entrepôt et s’installa dans un recoin de l’énorme caisse de survie.
Il s’était chaudement vêtu et avait réuni dans un sac tout ce qu’il lui fallait pour passer quelques jours de clandestinité : Une petite lampe à huile, une montre de gousset, des biscuits, une gourde d’eau, un couteau, une petite scie, quelques vêtements et des livres dont un vieux manuel de navigation à voile et un roman d’aventure de Walter Scott.
Jack ferma lui-même la caisse de l’intérieur ; se tapit dans sa planque et s’endormit aussitôt.

Il fut réveillé quelques heures plus tard par les manœuvres de chargement de la caisse sur le chariot qui devait l’emporter jusqu’au « White Star » amarré à une centaine de mètres à peine.
Dans le noir, le coeur battant, Jack guettait le moindre bruit ou le plus petit choc pour tâcher de repérer la progression des opérations.
Avec soulagement, il devina enfin que le chariot du dock s’était mis en route en cahotant doucement sur les pavés du port et il se dit que dans à peine un quart d’heure, la caisse serait dans la soute.
Toutefois, le trajet brinqueballant se prolongea plus qu’il ne devait et au bout d’une demi-heure, Jack commença à s’inquiéter un peu : Son navire n’était pas si éloigné que ça et compte tenu de temps écoulé, on devait être déjà à l’autre bout du port !
Comme pour se rassurer, il se remémora qu’il avait effectivement lu « White Star » peint en grandes lettres jaunes sur la caisse et que ce navire était le seul à appareiller ce jour-là.
Il s’expliqua alors ce contretemps par un détour que le chariot faisait sans doute pour desservir d’autres bâtiments et il décida de s’en remettre paisiblement à sa destinée.

Finalement, le chariot s’arrêta quelques minutes plus tard et jack compris bientôt que l’on attelait la caisse pour la transborder dans la soute.
Un bon choc et un bruit en écho l’avertirent de la bonne fin des opérations : Dans quelques minutes sans aucun doute, Jack allait enfin entendre les sons si particuliers et pour lui – si enivrants – de l’appareillage du « White Star »
Mais les heures s’écoulèrent sans qu’il ne se passe rien : Un silence pesant régnait dans la soute et Jack commença vraiment à s’impatienter.
Il était 23 heures à sa montre ce qui lui indiqua que pour une raison inconnue, le White Star ne devrait plus quitter le port avant le lendemain matin.
Un long moment, Jack se demanda ce qu’il pouvait bien faire : Soit dormir en attendant la suite des évènements ; soit sortir de la caisse et aller aux nouvelles quitte à se faire surprendre et se faire jeter du bateau comme un chien galleux.

A la faible lueur de sa lampe à huile, tourmenté par le doute et l’indécision, Jack ouvrit machinalement son roman de Scott et lut cette phrase au hasard : « Fuis, fuis, tu es en grand danger ! »

Lisant ces mots au « pied de la lettre » comme un signe du destin, Jack fut pris de panique. Il ramassa en hâte ses affaires et sortit de la caisse.
La faible lueur de sa lampe lui révéla alors qu’il se trouvait dans un espace incroyable : Jamais Jack n’avait vu une soute d’une telle taille et il fut de suite convaincu qu’il n’était certainement pas à bord du White Star » mais dans un navire au moins dix fois plus grand.
Il avisa alors une porte et il s’engouffra à la hâte dans un escalier métallique qui se révéla bientôt interminable : Jack ne se souviendra pas du nombre impressionnant de paliers qu’il passa ainsi en courant comme un dératé.
Il buta enfin sur une large porte métallique qui s’ouvrit sur une longue coursive qu’il traversa au plus vite pour se retrouver dans un escalier encore plus titanesque.
Ce bateau n’était qu’un immense et sombre dédale, un labyrinthe inattendu, effrayant et désert.
Finalement, une dernière porte s’ouvrit sur un petit pont extérieur à la rambarde duquel l’enfant s’accrocha pour reprendre son souffle pendant de longues minutes.

Un regard circulaire apprit alors à Jack qu’il se trouvait sur un de ces énormes paquebots de luxe qui prenaient souvent attaches à Southampton et que les « marins » de sa condition avaient appris à mépriser de tout leur corps et de toute leur âme et à éviter à tout prix !
Il pensait à l’instar de ses pairs qu’une telle ville flottante grouillant de monde et d’oisiveté n’avait rien de maritime  sinon d’humain !

Il comprit soudain les mécanismes de sa méprise : le nom « White Star » était aussi celui de la ligne armant ces bâtiments gigantesques et la caisse était marquée du sigle de cette compagnie et non pas du nom du petit cargo porteur de tous ses rêves.
Déçu, épuisé et choqué, Jack se terra dans un coin du pont en décidant d’attendre l’aube et la première passerelle qui lui permettrait de débarquer de ce monstre d’acier.
L’agitation qu’il y eut dès les premières heures du lendemain matin signala à Jack le départ prochain du paquebot.
Il mit plus d’une heure à quitter ce navire en se joignant « l’air de rien » à une équipe de dockers et en profitant du fait que l’on surveillait mieux les arrivées que les départs !
Une fois sur le quai, fendant la foule, Jack un peu dépité décida de rentrer chez lui quelque temps tout en se jurant de mieux préparer son prochain coup.

Jack Taler eut enfin quinze ans en 1914 et la guerre le priva à nouveau de ses aventures.
Il s’engagea volontairement dans la Royal Navy deux jours avant l’armistice et en fut libéré un mois après.
Il fut embauché alors dans un petit chantier de bateaux à voile où son courage et son astuce le firent rapidement monté en grade jusqu’à en devenir le seul héritier et propriétaire.
Il développa cette entreprise avec tant d’ardeur et de succès qu’il devint en quelques années une des plus grandes fortunes du comté.
Il se maria et eut deux enfants dont une fille qui épousa un armateur norvégien nanti d’une armada de paquebots de luxe et un garçon qui reprit les affaires de son père.
Quand il eut soixante ans, Jack entreprit de faire « enfin » le tour du monde avec sa femme « en amoureux » à bord d’un petit voilier dessiné par ses soins.
Ils revinrent dix ans après, ivres de bonheur et de souvenirs.

Jack Taler mourut dans son lit à 90 ans, le sourire aux lèvres en se souvenant que ce petit matin d’avril 1912, sur le port de Southampton, dépité de son échec, il s’était retourné pour narguer un peu le paquebot où il s’était fourvoyé par méprise et sur la proue, il avait lu alors ces sept lettres : « Titanic »

Note : Le paquebot « Titanic » de la ligne White Star sombra le 12 avril 1912 lors de son voyage inaugural qui eut pour départ le port de Southampton, Angleterre.

Martin Lothar, le 6 février 2007.
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S
J'avais deviné aussi pour le bateau, mais il y a du plaisir à se laisser porter vers la fin de l'histoire. (comme pour le précédent spectre d'ailleurs..)
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M
<br /> Still : Merci. Bises<br /> <br /> <br />
C
Chouette, une histoire qui finit bien!
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M
Idem que tippie je ne pensais pas qu'il descendrais, j'avais fait l'amalgame avec le jack (leonardo di caprio)
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L
Tippie : Pff ! Y'a jamais de suspens avec toi !M. : J'aurais dû être plus discret...Nijenn : Tout le monde t'a reconnue BlueMoon. Au moins tu n'as pas sombrée dans l'ennui toi !LPH : Oui, il en faut des comme ça de temps en temps, hein !
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L
La belle vie ...
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T
M. -> Pareil ! :0)Mais c'était bien vu.Par contre, je ne pensais pas qu'il parviendrait à descendre...
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M
J'ai deviné a partir du moment ou j'ai lu : "Jamais Jack n’avait vu une soute d’une telle taille et il fut de suite convaincu qu’il n’était certainement pas à bord du White Star » mais dans un navire au moins dix fois plus grand."
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N
Bravo ! Vive le labyrinyhe et ses spectres ! Vive Leu Warou et merci. Bises
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T
Yessssss ! Je le savais !! :O))
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