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Martin-Lothar

Recette — Le lièvre à la Blevins (à l’indienne)

15 Février 2013 , Rédigé par Martin-Lothar Publié dans #Runes, #Cormac McCarthy, #Dürer

J’ai trouvé ça au fond de ma tanière parmi les feuilles et les ossements :

DurerJeuneLièvre

« Ils bivouaquèrent cette nuit-là dans les collines basses et firent rôtir un lièvre géant que Blevins avait tiré avec son revolver. Il l’apprêta sur place avec son couteau de poche et l’enfouit avec la peau dans le sol sablonneux et fit un feu par-dessus. Il dit que c’était comme ça que s’y prenaient les Indiens.

Tas déjà mangé du lièvre géant ? dit Rawlins.

Il hocha la tête. Pas encore, dit-il.

Tu ferais bien d’aller chercher un peu plus de bois si t‘as l’intention de manger ce machin.

Ça sera cuit.

Qu’est-ce que c’est le truc le plus bizarre que t’as jamais mangé ?

Je peux dire que c’est une huître.

Une huître de montagne ou une huître de mer ?

Qu’est-ce que tu appelles une huître de montagne ?

Des couilles de taureau.

Alors c’était une huître de mer.

Comment est-ce qu’elle était cuite ?

Elles étaient pas cuites. Elles étaient juste dans leur coquille. On mettait de la sauce piquante dessus.

Quel goût ça avait ?

À peu près le goût qu’on pouvait penser.

La chose qu’ils sortirent toute fumante de terre ressemblait à une effigie desséchée exhumée d’un tombeau. Blevins la posa sur un rocher plat et enleva la peau et fit tomber la viande dans les assiettes en grattant les os et ils l’inondèrent de sauce piquante et la roulèrent dans la dernière tortilla qu’il leur restait. Ils mâchèrent et se regardèrent.

Et bien, dit Rawlins. Ce n’est pas si mauvais que ça.

Pas du tout, dit Blevins. À vrai dire, je me doutais pas qu’on pouvait en manger.

John Grady Cole cessa de mastiquer et les regarda. Puis il se remit à mâcher.

On dirait que vous êtes ici depuis plus longtemps que moi, dit-il. Je croyais qu’on était parti tous en même temps. »

(Cormac McCarthy, De Si Jolis Chevaux, 1992, Chapitre I)

 

Note : Il y a cent façons de cuisiner un lièvre (ou autres léporidés), de la plus royale (version Ali-Bab ou Sénateur Couteaux), à la plus rustre, comme celle-là qui a — admettez-le — un arrière-goût, une saveur culturelle de derrière les fagots, pour ne pas dire littéraire ou de mes bibliothèques (poussiéreuses, certes, mais bon).

Mais, comme le disait Diogène, ce qui est le plus simple n’est pas forcément le plus abordable.

Il faut déjà débusquer un lièvre géant (d’Amérique — je n’ai pas pu identifier l’espèce citée, désolé) ; le tirer au colt 45 ou autre calibre ; savoir le dépecer et le vider dans les règles de l’art avec un couteau de poche aiguisé ad hoc ; remettre le tout de chair et d’os, de nerf et de chausse dans la peau encore chaude de sa vie et l’enfouir dans la terre sablonneuse qu’il convient pour le cuire à l’indienne.

Je passe sur votre capacité à faire un feu de bois qui tient la route, sinon la nuit et sur votre intuition quant au temps de cuisson de la bête ainsi préparée.

Je zappe encore sur votre compétence en matière de castramétation et d’équitation et autre voyage organisé (ou pas) sachant que pour déguster ce lièvre à la Blevins et à l’indienne, il faut savoir rester droit dans ses bottes, admettre des amitiés impromptues, voire dangereuses sinon mortelles et apprécier les belles étoiles des nuits du désert, leurs serpents, leurs orages, leurs renégats, leurs aventures et autres farces (à l’huitre ou aux couilles de taureau) du destin, des voisins et du pays.

Je vous aurai prévenus.

...

J’espère que j’aurai le temps de vous reparler de cet étrange Jimmy Blevins (13 ans aux fraises et à la recette) qui est en fait le personnage-clé de cette « trilogie des confins » et que l’on retrouve peu ou prou dans les trois romans. J’ai ma thèse à son sujet…

Jimmy est un des nombreux fils de Cormac McCarthy, un auteur étasunien — toujours né — que tous les Indiens d’Amérique devraient vénérer comme leur « nouveau Manitou ».

J’ai dit.

Hugh !


Illustration : Albrecht DÜRER (1471-1528) Jeune lièvre (1502) Aquarelle et gouache sur papier (251 x 226 mm) Graphische Sammlung Albertina, Vienna, Europe.


Fin de loup

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