Conte de Noël : La clé d’Alexis
Je publie in extenso sur ce blogue, ce soir (avec retard) un conte de Noël (ou d’autre solstice) écrit en décembre 2008 et paru à cette époque en quatre jours et quatre parties sur l’excellent loftblogue Frivoli.
Bon d’accord, c’est mièvre et niais, mais ce n’est qu’un (long) conte destiné aux petits comme aux grands enfants (s’il en reste)
Celui-ci, je l’aime beaucoup dans la mesure où j’en ai imaginé le scénario de base à l’âge de douze ou treize ans pour une « rédaction » qu’on me demandait alors.
Pour des raisons « politiques et sociales graves ou pas » on ne m’a jamais rendu ma copie qui ne fut donc pas notée (Ouf !)
Journal d’Alexis. Le 22 décembre 2008
Je m’appelle Alexis, j’ai onze ans et je veux mourir.
Je veux mourir non pas parce que je ne suis pas beau, petit et que j’ai un pied-bot, mais parce que mon village où je suis né va bientôt disparaître pour toujours.
Les gens de l’électricité veulent l’engloutir pour faire un barrage en aval pour du courant « dont on en a rien à foutre » comme dit Papa.
Mon petit village que j’aime va crever pour donner du jus aux gens de la capitale régionale, en bas de nos montagnes, à trois heures de route.
Moi, j’y suis allé qu’une fois dans ma vie à la capitale : J’aime pas du tout. Ça pue, c’est plein de bagnoles dans tous les sens et il n’y a que des magasins de fringues pas mettables à un âne comme dit Mathilde.
Mathilde c’est la plus vieille du Lothar (c’est le nom de mon village). Elle y est né il y a très longtemps comme tous ses ancêtres depuis la nuit des temps et au moins autant que nos Alpes sont Alpes.
Elle ne sait pas très bien elle-même quel âge elle a d’ailleurs. Elle pense avoir quatre-vingt-dix ans, mais Papa dit qu’elle est bien plus vieille que ça. Près de cent ans elle aurait la Mathilde !
En plus quand j’ai été dans la grande ville, à la fin, j’ai croisé d’autres enfants que se sont foutus de ma gueule tellement je boitais.
J’aime pas cette ville et ses gens et pour rien au monde je veux que l’on y soit envoyés pour vivre quand il auront noyé le village, mon village !
Il faut que je vous en parle du Lothar : Il est situé tout en haut d’une petite vallée très encaissée et creusée par un grand torrent (le Lothar aussi) qui sort de dessous le mont Lothar (3200 mètres)
On raconte chez nous que cette rivière viendrait de très loin en souterraine et qu’elle aurait sa source sous le mont Saint-Gothard. Ce serait même une sœurette du Rhône, du Rhin, de l'Aar et du Tessin ! (Je me suis documenté hein !)
Elle tombe à pic des pentes du Lothar pour se jeter dans un petit lac en amont du village (le lac Lothar), puis elle disparaît, passe sous notre petite chapelle pour partir dégouliner en cascades de plus en plus grosses et bouillonnantes vers la plaine pour aller faire boire ces cochons de la ville.
Le village a une vingtaine de chalets très vieux (même authentiques) groupés en cercle, autour de la chapelle qui est une antiquité aussi.
La vie est très dure à Lothar, mais elle est très belle aussi parce que tout autour c’est trop beau et naturel !
Quand je suis né, il y avait une trentaine d’âmes à Lothar (comme dit Papa), mais en onze ans, pas mal sont morts et d’autres plus jeunes sont partis ailleurs en laissant derrière eux douze grandes personnes et cinq enfants comme moi.
On n’a pas la télé et on ne va jamais à l’école : On apprend tout seul (un peu aidés par les parents quand même hein !)
Nous avons quelques bêtes et on ne vit que des produits de la terre, de la forêt d’à côté, des abeilles et l’électricité vient d’une petite turbine installée sous la chute du Lothar qui a été payée par « les Bienfaisants de L’AP » qu’on a jamais vus ici de mémoire d’aïeuls, mais qui aident en secret le village depuis le moyen-âge à ce qu’on raconte.
En plus, personne ne sait ici ce que veut dire « AP »
Ce sont eux qui paient pour entretenir la seule petite route très étroite qui mène ici en suivant la vallée et la ligne de téléphone.
D’après Papa, ça doit leur coûter la peau des fesses (sans parler de l’entretien de la turbine !) surtout que ni l’Etat, ni la Région ne veulent plus payer ça depuis des années et des années.
A part un facteur et un docteur, une fois par mois, personne ne monte jamais au Lothar tellement c’est loin et perdu dans la montagne et il n’y a rien de vraiment intéressant pour les touristes, les skieurs ou les alpinistes.
C’est pourquoi ils veulent tout détruire ici hein ! Le torrent est de plus en plus vigoureux et ils pensent que cela ferait un superbe truc pour élever leurs foutus kilowatts du diable !
Oui, mais il faut noyer tout le village pour ça et nous foutre à la porte de chez nous.
Mais on résiste ! On se bat tant qu’on peut, même si pour Papa, il y a peu d’espoir de sauver notre paradis natal.
Depuis deux ans qu’ils nous ont annoncé ce projet de malheur, on se creuse la tête, ici pour trouver des trucs de valeur qui pourraient empêcher tout ça.
Mais en fait, tout est banal comme la nature au Lothar.
Il y a bien les chalets vieux comme le roc, mais il paraît que ça ne vaut rien en architecture ou en machin rustique.
Il y a aussi la chapelle construite avant Jésus-Christ, à ce qui dit Mathilde, mais à part sa crypte minuscule couverte sur les murs de dessins et de symboles indéchiffrables (qu’il a dit le monsieur du musée qui est venu cet été) elle n’aurait rien de vraiment rare.
Le monsieur s’est très intéressé pourtant au triptyque posé sur l’autel, mais j’en reparlerai plus tard de ce bout de bois.
Il y a aussi le petit lac (Lothar) en amont du village qui est très rigolo avec son île au milieu et tous les glouglous qu’il fait parfois avant de recracher des tas de trucs pas possibles (des arbres entiers souvent)
Il est très dangereux ce lac et nous les enfants, il nous est interdit de nous y baigner et même de l’approcher
Voilà bientôt Noël (le dernier) qui sera sans neige, comme l’année dernière et je commence ce journal qui sera sans doute mon testament parce que je veux mourir ici, chez moi, avec mon village !
Ce matin, les adultes sont tous partis pour deux jours à la ville dans les deux minibus (offerts aussi par les « Bienfaisants ») pour vendre quelques trucs, faire des courses et surtout pour aller assister sans grand espoir à la dernière réunion d’information sur le projet
Nous les enfants, on reste avec Mathilde et avec Arthur, qui a quarante ans et qui est le meilleur apiculteur du monde, ça c’est sûr.
On a la charge de préparer la dernière veillée de Noël dans la chapelle.
Papa a promis à Mathilde d’aller aux archives retrouver son acte de naissance pour savoir son âge !
Ils étaient à peine partis qu’il s’est mis à pleuvoir comme vache qui pisse et ça n’a pas arrêté de toute la journée.
On les a eus au téléphone ce soir, ça marchait très mal, mais ils nous ont dit qu’ils étaient bien arrivés en bas malgré ce temps de cochon.
J’écris ces lignes sur la table à manger. Les autres jouent aux cartes, au menteur, Arthur ronfle dans un fauteuil et Mathilde tricote, mais elle semble inquiète de toute cette flotte qui tombe.
Journal d’Alexis. Le 23 décembre 2008
La lumière de l’ampoule vacille et je me demande si le générateur va bien.
J’ouvre la porte du dehors et c’est le déluge qui me fout une grosse baffe froide et humide.
Mathilde dira qu’elle n’a jamais vu de sa vie autant de flotte tomber sur le village.
Je referme la porte dégouté. Je réveille le feu dans la cheminée et je m’assois dans le fauteuil de Mathilde pour attendre les autres en rêvant.
C’est Arthur qui arrive le premier en pestant contre la pluie. Il attrape un bout de pain, enfile ses bottes et son anorak et il sort en me disant qu’il va au lac voir le générateur qui commence à s’enrhumer.
Mathilde sort de sa chambre et je l’aide à préparer le petit déjeuner : Il y aura des crêpes au bon miel d’Arthur, de la confiture de myrtilles, du pain que Maman a fait et du lait de chèvres tiré de la veille au soir.
On mange tous ensemble en se demandant si on pourra traverser la rue sans se noyer pour aller décorer la chapelle.
Charles, il a seize ans — déjà en boutons, comme dit Mathilde — sort le premier pour aller aider Arthur à s’occuper des vaches, des moutons et des chèvres.
Il revient quelques secondes plus tard pour nous dire qu’on n’a pas besoin de paquebot pour aller à la chapelle ! (Pff ! Qu’est-ce qu’il peut être bête celui-là quand il s’y met !)
En arrivant dans la chapelle, on est tous mouillés jusqu’au os et elle est plus froide et humide que jamais. Il y a même des flaques au sol.
Jeanne m’aide à ouvrir la trappe de la crypte et avec la lampe de poche alors, on voit qu’elle est déjà à moitié inondée.
Jeanne, c’est mon amoureuse (en secret hein ! Le mien). Elle a treize ans et elle est trop jolie.
Elle m’aime bien, mais je sais qu’elle pense sans arrêt à Charles qui est très beau et très fort lui au moins, même s’il est souvent trop con ce mec !
Avant de partir de là, j’ai regardé le triptyque sur l’autel et je me suis dit alors qu’il ne pleuvrait pas assez pour l’atteindre quand même.
J’aime ce truc. C’est grand comme un album de Titeuf et large comme trois parce que c’est en trois parties comme un livre compliqué.
C’est un gros bouquin en bois et en fer, en fait. A l’intérieur, c’est une vraie BD peinte à la main et à l’huile avec des tas de décors de toutes les couleurs et de petites phrases illisibles.
Le monsieur du Musée quand il est passé cet été, il a dit que c’était du beau travail et sans doute très, très ancien, mais il ne comprenait pas ce qu’il raconte.
Il n’a pas reconnu les personnages qui n’ont rien à voir avec les livres de messe et il paraît que beaucoup de mots sont écrits dans une langue inconnue qui ressemble un peu au Grec.
Il a demandé à Papa de l’apporter un jour au musée quand le village sera mort pour qu’on l’examine plus en détail.
Ce triptyque est sans doute aussi vieux que la chapelle ou que le premier habitant de Lothar et c’est vraiment le seul trésor du village.
Les planches de bois peintes sont entourées par un gros cadre en métal très biscornu. Quand c’est fermé, on dirait de loin une énorme clé !
Quand j’ai dit ça la première fois, tout le monde a rigolé, mais moi, j’ai toujours pensé que c’était une espèce de clé ce truc-là.
Les deux parties à gauche et à droite sont remplies de petites cases comme dans les BD où l’on voit des tas de personnages inconnus qui font on ne sait quoi parce qu’on ne pas traduire les phrases en bas.
Il y a un monsieur bien habillé du moyen-âge et un chevalier. Il y a aussi un soldat romain, un pirate et puis un chinois ou pareil.
Mais on retrouve ces cinq bonshommes au milieu, en plus grands et debout, devant un paysage qui une vraie photo peinte du village !
On le reconnaît vrai de vrai notre pays et au loin, on voit même le lac avec au-dessus un signe en forme de mouton tordu endormi autour des deux lettres en or « AP »
Le monsieur du musée a dit que c’était le signe de « la toison d’or »
Oui, mais bon hein : Qu’est-ce que ça veut dire AP ?
On revient chez Mathilde et l’on raconte la flotte dans la chapelle. Alors Arthur dit que l’on ne fera pas la veillée dedans parce que c’est malsain.
Alors, Mathilde a l’idée de faire le réveillon chez elle comme ça elle verra plein de monde plus longtemps.
Nous les enfants, on trouve ça très chouette parce qu’on l’adore la Mathilde et on se met au boulot pour la décoration.
Vers midi, Papa téléphone et ça grésille très fort. Il nous dit que c’est foutu pour le village. Il sera rasé au printemps et les travaux du barrage commenceront à l’été.
La bonne nouvelle c’est qu’on nous propose des relogements dans des villages voisins, mais pas à la ville si on veut pas (ouf !)
Mais moi, ça ne plaît pas quand même et je suis toujours décidé à mourir avec mon pays.
On passe le reste de la journée à décorer le chalet de Mathilde et puis vers vingt heures Papa appelle encore pour dire que la route est coupée par des coulées de boue et qu’ils ne peuvent pas passer.
Ils essaieront demain s’ils trouvent quelqu’un pour déblayer
Arthur lui parle alors du générateur qui ne va pas tarder à tomber en panne avec toute cette flotte et que le téléphone n’en a pas pour longtemps lui aussi.
Papa lui dit qu’en cas de besoin, il y a chez nous une radio sur batterie (que je sais faire marcher, moi !)
S’il le faut, on mobilisera toute l’armée ! Ils nous doivent bien ça quand même hein !
J’écris ces lignes avant de me coucher quand la pluie semble redoubler encore et encore.
Tout à l’heure, j’ai trouvé dans le grenier de Mathilde un vieux bouquin plein de poussière qui parle de Charles le Téméraire, le dernier Duc de Bourgogne.
Journal d’Alexis. Le 24 décembre 2008
Cette journée du 24 décembre a été longue et à faire peur.
D’abord, Je n’ai pas dormi de la nuit parce que j’ai voulu lire le bouquin de Mathilde le plus possible sous les draps avec ma lampe de poche.
De toute façon, la pluie fait trop de bruit et j’ai trop mal à mon pied pourri.
Ce livre a été écrit par un monsieur appelé Martin Lothar « professeur émérite à l’université de Frivoli » (C’est certainement un ancien de mon village hein !)
Il raconte au milieu que le duc de Bourgogne, Charles dit le « Téméraire » n’est pas mort bouffé par les loups après le cul de pied au cul que lui a donné Louis XI.
Le Duc serait parti avec pas mal de fric et des copains (des loups ?) vers l’Est, vers les Alpes pour trouver refuge dans un lieu secret éloigné de tout !
Je ne vous raconte pas alors pourquoi ça m’intéresse tout ça hein !
Ils seraient resté là à faire on ne sait pas très bien quoi, mais en tout cas, le Martin il dit que ce serait lié à la « Toison d’or » et autres secrets très anciens !
C’est peut-être tout près de moi ces trésors ?
J’ai trop mal à mon pied pied-bot. Je descends le premier à la cuisine comme hier. Je bois un verre de lait puis je m’endors dans le fauteuil de Mathilde.
On est tous réveillés à l’aube par Arthur qui était sorti pour inspecter le village.
Il me fout la trouille : Le Lothar est sorti de son lit (lui aussi) et il est en train de noyer tout le village.
Nous sortons pour voir : C’est le pot qu’a l’hips (comme dit ce con de Charles)
Tous les chalets d’en bas sont inondés jusqu’à l’étage. Il y a au moins un mètre d’eau autour de la chapelle !
Jeanne se met à pleurer et Charles dit que c’est pas possible.
Les deux plus jeunes (les bébés comme dit Charles) Eric et sa sœur Pénélope se mettent à chialer aussi tellement c’est grave.
Et puis patatras ! Plus de lumière ! Le générateur est claqué !
Arthur et Charles partent pour voir ce qu’il a ce truc et nous, on reste à la fenêtre à regarder les bouillons remplir la rue.
Alors je me dis que tout cela va mal finir et qu’il faudrait aller chercher le triptyque dans la chapelle.
J’y vais et tout le monde gueule tellement c’est dangereux, mais je n’entends rien. On ne va quand même pas oublier les clés hein !
C’est vrai que dans la rue, j’ai de l’eau jusqu’à la taille et que le courant est très fort.
J’arrive à la chapelle. J’ai du mal à ouvrir la porte à cause de la flotte et de la boue.
Heureusement, l’eau n’a pas encore atteint le haut de l’autel et le triptyque est encore sec.
Je le prends et je le mets dans un sac plastique que j’avais emporté (malin hein ?)
En sortant, j’ai de la flotte jusqu’à la poitrine et il y a des tas de saloperies qui déboulent dans le torrent.
Finalement j’arrive à l’escalier du chalet où tout le monde me sort du bouillon.
Je suis gelé, trempé et mon pied me fait hurler de mal !
Je n’ai pas le temps de me sécher qu’Arthur et Charles reviennent en criant. Ils disent que le village se remplit comme une cuvette et que bientôt, la boue et la flotte emportera tout comme de la paille. Ils disent qu’il faut tous quitter le chalet et remonter très vite vers le lac sur les pâtis, sinon, on est tous morts
Ils ont rapporté le canot en boudins et les gilets de sauvetage qui nous servent l’été pour faire du raft sur le Lothar (j’aime bien ça d’ailleurs)
On mettra Mathilde et les deux plus jeunes et les sacs dans le radeau et les autres les tireront avec des cordes d’alpinistes.
C’est pas gagné quand même, il ajoute Arthur.
On prépare tout alors : Des sacs avec à manger dedans, des pulls, des gourdes et de lampes de poche.
Moi, je prends le triptyque.
On y va et ce n’est pas de la tarte hein ! L’eau bouillonne, on glisse tous les deux pas et les cordes nous scient les mains.
Mais il n’y a pas de panique en fait et Eric et Pénélope sont très courageux. Ils ne pleurent plus et ils se blottissent contre Mathilde qui sourit quand même un peu jaune.
On a de l’eau en tourbillon jusqu’au cou, mais on arrive quand même à avancer tout doucement.
Je me dis que c’est l’occasion ou jamais de mourir, mais en même temps, je veux mourir tout seul en sachant que les autres resteront assez vivants pour découvrir le secret du triptyque.
Vers midi, on arrive enfin sur les pâtis qui ne sont pas encore inondés par la rivière ou par la pluie. On débarque tout le monde et on va aux étables pour se réchauffer et calmer les bêtes.
On fait un feu dans tonneau en fer dans la vieille écurie et on se tasse autour en silence.
Au Nord, tout est sous l’eau : On ne voit plus que le toit du hangar du générateur.
En amont, à l’Est, on a de la peine à voir le lac tellement la pluie tombe.
On reste bien une heure comme ça quand il y a soudain un énorme grondement comme une avalanche mais beaucoup plus fort et terrible. Comme si tout le mont Lothar se cassait la gueule.
Moi, Arthur et Charles on court vers le lac pour voir et là, c’est incroyable ce qu’on découvre !
Le lac est complètement vidé de sa flotte et tous les sapins et les roches qui faisaient une petite colline sur l’île sont éboulés par terre.
Et pire, on aperçoit maintenant un grand bâtiment sur l’île. C’est un truc qui ressemble à la chapelle mais en dix fois plus grand.
Je me souviens alors avoir vu un dessin comme ça dans le livre de Mathilde : Un truc rectangulaire, un peu comme l’église de la Madeleine que j’ai en photo sur mon calendrier des Postes, mais en bien plus petit quand même hein !
Nous, on n’en croit pas nos yeux car il y a même une espèce de route en escalier qui va au bâtiment et qui était cachée par les eaux depuis la nuit des temps !
On revient aux étables et on s’aperçoit alors que l’inondation s’en approche encore plus vite.
Il faut encore partir et on décide de se réfugier en hauteur dans cette église de l’île avec les plus de bêtes possibles.
On y va et nous les enfants on trouve ça rigolo et palpitant de découvrir ce lieu secret inconnu de tout le monde entier.
Le chemin du lac est plein de branches et de poissons morts. On rentre dans la bâtisse et c’est complètement vide à l’intérieur. Il n’a qu’un gros cube en pierre au fond, un peu comme l’autel de l’autre chapelle.
On tient tous à l’aise là-dedans, les gens, les trois vaches, les chèvres, les moutons et les deux ânes, mais par la porte, on voit que l’eau court vers nous à gros bouillons. Arthur espère qu’on ne va être faits comme des rats dans ce nouveau refuge.
Malheur, pas moins d’une heure après, la flotte commence à rentrer doucement dans la chapelle. On ne peut plus aller plus loin et plus haut et Mathilde nous dit qu’il ne nous reste plus qu’à prier.
Alors on prie en disant n’importe quoi et en engueulant tous les dieux possibles qu’on invente au fur et à mesure.
On a de l’eau jusqu’à la taille et on se tasse tous contre le cube du fond.
Et puis ça nous vient jusqu’à la poitrine quand les bêtes commencent à paniquer graves.
Alors en portant Pénélope pour la mettre sur l’autel, je vois sur le dessus une sorte de fente dans la pierre.
Je ne sais pas pourquoi, mais je pense à une espèce de serrure et tout de suite je sors le triptyque de mon sac et je le glisse dans le trou.
Tout le monde me regarde faire ça.
J’enfonce le triptyque qui est pile poil de la taille de la fente : Je savais bien moi que c’était une clé ce machin-là !
Alors, il y a un gros clic et plus un gros clac, un nouveau clic et puis soudain, un énorme grondement comme tout à l’heure quand le lac s’est vidé.
Il y enfin un gigantesque glouglou (comme quand je vide mon bain du dimanche soir, mais plus fort quand même) et en moins de dix minutes : Plus de flotte et on se retrouve tous le cul par terre à sec en se disant que c’est pas croyable tout ça !
On va voir dehors et on s’aperçoit que le lac est vide à nouveau et que l’inondation se retire aussi vite qu’elle était montée.
On n’a pas le temps d’éclater de joie qu’on entend un craquement derrière nous : Le gros cube en pierre s’enfonce dans le sol de cette chapelle et disparaît bientôt pour laisser la place à un escalier qui va en bas dans le noir.
On n’a pas d’autre chose à faire qu’à descendre voir hein !
On y va : Il y dix mètres environ de marches en escargot qui amènent à une crypte (comme dans l’autre chapelle) et au fond, une énorme porte en trois parties qui représente mon triptyque copie conforme !
Il y a au milieu une immense épée de chevalier qui fait un peu poignée pour la porte.
Arthur la tire, mais ça ne bouge pas. Charles l’aide, puis Jeanne de toutes leur force, mais rien ne vient.
Arthur dit alors qu’on verra ça plus tard et on va remonter quand moi je décide d’essayer de tirer.
Pourtant, je ne suis pas allé très fort, mais elle est venue tout de suite que même j’en étais surpris et que je tombe sur le dos et que l’épée (vachement lourde) me tombe sur mon pied pourri.
Je hurle tellement j’ai mal, mais il y a alors un nouveau craquement sinistre et la porte s’ouvre toute seule !
On entre…
Ce qu’on découvre alors, je vous le raconterai demain hein !
Parce là je suis crevé et je vais me coucher.
Il est presque minuit (demain c’est Noël !) Tous les autres dorment dans le chalet de Mathilde qui par miracle est resté au sec et intacte !
Ma maison aussi a été épargnée et on a appelé Papa avec la radio et moi j’ai hurlé en pleurant dans le micro pour qu’il prévienne l’ONU s’il le faut tellement c’est pas possible ce qu’on a trouvé au fond du lac.
Quand on est sorti de la crypte toute à l’heure, il ne pleuvait plus, le ciel était tout bleu. La rivière était dans son lit et il n’y avait plus rien d’inondé.
Maintenant, il est minuit, je ne veux plus mourir tout de suite, j’ai très mal au pied et demain on fêtera l’anniversaire de Mathilde.
Journal d’Alexis. Le 25 décembre 2008
Ce matin de Noël on est tous réveillés à cinq heures tellement on était excités par ce que l’on a vécu hier.
On prend le petit déjeuner aux bougies et on souhaite son anniversaire à Mathilde qui ne veut pas croire qu’elle a 150 ans et qu’elle est la plus vieille de l’humanité.
A peine le jour se lève, qu’on entend un gros bourdonnement dans le ciel : Ce sont quatre énormes hélicoptères militaires qui arrivent et qui se posent sur les pâtis.
Il y a un tas de monde qui en descend, mais surtout mon Papa et ma Maman !
Il y a aussi plein de soldats, des pompiers, des docteurs et le monsieur du musée qu’on a vu l’été dernier.
On s’embrasse tous et je me souviens, Maman fait la remarque la première que je boite plus que jamais, c’est terrible (je m’en suis pas aperçu moi-même hein !)
On va tous ensuite au lac, on descend l’escalier, on passe la porte de l’épée : Rien n’a bougé depuis hier.
C’est une très grande salle tout en rond avec un plafond « en ogive »
Quand on donne un simple petit coup de lampe, tout s’illumine en petites étoiles très jolies et ça éclaire vachement bien, je vous le dis.
Ce sont des pierres à phosphore qu’il a dit le monsieur du musée qui en une heure est devenu aussi dingue qu’un chien devant une montagne d’os !
Au milieu de la salle il y a un grand tombeau et puis autour, disposés en « X » quatre autres un peu plus petits.
Et tout autour en cercle, il y a une vingtaine d’autres « sarcophages »
C’est très beau à voir en fait et très impressionnant aussi, parce que tout le monde reste à regarder la bouche ouverte au moins un quart d’heure sans bouger ni parler.
Tout le monde après fait le tour de la salle en silence en regardant les tombeaux et puis le monsieur du musée demande qu’on enlève la plaque sur la grande tombe du milieu.
C’est vachement lourd hein et il faut au moins dix bonshommes pour la déplacer et la laisser tomber par terre (et la casser aussi !)
On regarde et on voit alors un squelette, des tissus, des armes et des tas de trucs en marbre, en argent et en or.
Pendant une heure, le monsieur du musée inspecte tout ça et plus ça va et plus il répète : « C’est pas possible » ou « c’est pas croyable »
Au bout d’un heure, on en a marre et on lui demande ce qu’il lui arrive.
Et hop ! « C’est pas possible » et « c’est pas croyable » et il est tout pâle comme un mort-vivant et il tremble.
Et puis tout rouge énervé, le chef des soldats lui demande de nous dire enfin ce que c’est cette tombe !
Alors le monsieur du musée dit « à vérifier, mais en première analyse, je pense qu’il s’agit du tombeau du roi Alexandre de Macédoine »
Il y a un long silence et le petit Eric demande : « Hein, quoi, qui c’est ça ? »
Après, on ouvre les quatre autres en « X » et le monsieur du musée nous dit à chaque fois après des tas de « C’est pas possible » ou « c’est pas croyable »
« à vérifier, mais en première analyse, je pense qu’il s’agit du tombeau du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire »
Et puis,
« à vérifier, mais en première analyse, je pense qu’il s’agit du tombeau du roi Arthur »
Et puis,
« à vérifier, mais en première analyse, je pense qu’il s’agit du tombeau du roi viking, Eric le Rouge » (Le premier qui a découvert l’Amérique qu’elle a dit Mathilde hein !)
Et puis,
« à vérifier, mais en première analyse, je pense qu’il s’agit du tombeau du roi des Huns, Attila »
Et à chaque fois, le chef des soldats hurle dans sa radio pour qu’on dise au sous-préfet de prévenir le préfet de prévenir le ministre de prévenir le président et tout le tralala !
On en ouvre deux autres au hasard et puis : « à vérifier, mais en première analyse, je pense qu’il s’agit du tombeau du roi Guillaume le Conquérant et de la reine Mathilde »
« C’est pas possible, c’est pas croyable »
Là, il tombe dans les pommes le monsieur du musée !
Quand on sort, il y a déjà plein de journalistes dehors, la télé, la radio, les journaux, qui sont venus pour Mathilde et qui ne sont pas déçus du voyage hein !
Au goûter, après une « interview » un Américain me dit que demain j’aurai ma photo et tout un article sur moi dans le New York Times, dans le Washington Post et même dans le Dauphiné Libéré.
Arthur n’est pas passé au journal de 20 heures lui, parce qu’il expliquait à des Chinois comment on fait du bon et du vrai miel ici et qu’ils ne voulaient rien comprendre.
Je cause par téléphone au président de la France et puis à celui de l’Europe et enfin à celui de l’UNESCO (le plus intéressant en fait) qui me dit que mon village est « c’est pas possible » et « c’est pas croyable, à vérifier, mais en première analyse, une des sept merveilles du monde » et qu’il n’est plus question de le détruire (ben tiens, mon pote !)
Mathilde papote pendant plus d’une heure avec la reine d’Angleterre sur un problème de point de couture et à la fin elle est toute joyeuse d’avoir trouvé une telle bonne copine de son âge ou presque (elle a même noté le numéro de téléphone)
En partant, le monsieur du musée me dit qu’en tant « qu’inventeur » j’ai droit à la moitié de tout ces trésors et que « à vérifier, mais en première analyse » je suis certainement le petit garçon le plus riche du monde !
Maintenant il est plus de onze heures et tout le monde dort.
Je suis dans ma chambre, chez moi et j’écris.
Tout à l’heure quand les gens partaient, je suis allé à la crypte des rois.
En bas de l’escalier, j’ai retrouvé ma clé, le triptyque, pas trop amoché.
Dans la tombe du roi Arthur (celui que je préfère), j’ai piqué un truc qui m’avait plu : Une timbale en métal gris toute cabossée avec des taches rouges dedans (oui, je sais, c’est nul !)
En remontant l’escalier, je sens un caillou dans la grosse chaussure de mon pied-bot.
Je la retire, mais il n’y avait rien.
Sauf que mon pied, il est normal maintenant, pareil comme l’autre et il ne me fait plus mal et je ne boite plus du tout !
En rentrant dans ma chambre, j’ai mis le triptyque sous mon oreiller et j’ai posé la timbale sur ma table de chevet à côté de la photo de la vieille Mathilde parce que je les aime toutes les deux.
C’est Noël, Je m’appelle toujours Alexis, j’ai toujours onze ans.
Je veux toujours mourir parce que je sens maintenant que l’on ne va m’aimer rien que pour mon argent.
Illustration : Nicolas POUSSIN (1594, Les Andelys, 1665, Roma) L’hiver, (1660-64) Huile sur toile (118 x 160 cm) Musée du Louvre, Paris, Europe.
Fin de loup