Dix-neuvième spectre (Un mélomane)
C’est Monsieur le Curé qui m’annonça la grande nouvelle
après que j’eus terminé un exercice d’orgue bien difficile qu’il m’avait donné.
Ce bon professeur posa sa main sur mon épaule et m’informa que compte tenu de ma brillante prestation lors de la dernière messe à l’abbaye de Melk, le père abbé m’offrait un voyage à Vienne où grâce à une de ses connaissances, je pourrais participer à la célèbre soirée musicale du Printemps organisée par la Comtesse von Hoeffner.
Je fus aux anges en entendant ça : Moi Johann Christian Sulzer, 17 ans aux fraises, fils d’un modeste artisan de Spitz sur le Danube, j’allais être dans quelques jours dans la plus belle ville du monde pour y voir et entendre peut-être les plus grands compositeurs de ce siècle : Monsieur Gluck, Monsieur Salieri, Monsieur Haydn, Monsieur Mozart et tant d’autres encore !
J’ai libéré ma joie en sautant au cou de mon professeur qui faillit en tomber à la renverse.
Le lendemain, je me rendis à Melk où le père abbé me remit de l’argent, des papiers de recommandation et des adresses tout en m’instruisant de certaines courses que je devrai faire pour lui à Vienne et notamment, il me chargea d’aller dire une prière de sa part sur la tombe d’un musicien inconnu de moi.
Il faut dire que ce père abbé était un très grand mélomane et aussi un organiste hors pair dont les goûts ne se limitaient pas à la musique liturgique : Il appréciait énormément la musique de chambre, les concertos, les symphonies et il me dit même sous le sceau du secret, qu’il n’aurait pas détesté entendre un de ces opéras modernes si sa fonction ne lui interdisait.
Avant de me congédier, il me livra une information qui faillit encore me faire évanouir d’émotion : La soirée musicale du Printemps sera peut-être honorée de la présence de Monsieur Carl Philippe Emmanuel Bach en personne ! Le fils du grand Jean-Sébastien et notre vivant maître à tous.
L’abbé émit tout de suite des réserves sur cette venue à Vienne de Monsieur Bach eu égard à son très grand âge et à la longueur du trajet depuis Hambourg, mais il me souhaita quand même la bonne chance d’avoir cette sublime opportunité.
Moins d’une semaine plus tard, j’entrai dans Vienne le cœur battant.
Je louai une chambre dans une des pensions que m’avait recommandée l’Abbé et je me rendis aussitôt au palais de la Comtesse von Hoeffner pour me présenter à Monsieur Zimmer, un de ses chambellans.
C’est ce personnage, cousin éloigné de l’Abbé, qui me donna les consignes pour assister à la soirée prévue le lendemain soir même.
En fait, j’appris alors que je n’y étais pas officiellement convié. Cependant Monsieur Zimmer me ferait entrer dans le palais avant la foule et il me placerait dans un endroit discret de la salle de gala que je ne devrai pas quitter un seul instant, mais d’où je pourrai voir la plupart des invités et assister à tous les concerts.
Ayant remercié vivement mon « entremetteur » je m’occupai à chercher un costume de soirée à louer tout en musardant dans les rues de Vienne que je découvris avec ravissement.
Je passai toute la journée suivante à compléter cette visite et à butiner aux étalages des marchands de musiques en quête de partitions de tout genre tant pour moi que pour l’abbé et pour mon professeur.
Le soir, à l’heure indiquée, je me présentai de nouveau à Monsieur Zimmer qui m’installa sur un tabouret dans un coin de la salle de gala, coincé entre l’estrade de l’orchestre, un piano-forte et une table de service.
Les quelque vingt musiciens étaient déjà installés et préparaient leurs instruments non sans lorgner de temps en temps sur le superbe piano ; un instrument bien moderne que pour ma part je voyais pour la première fois de ma vie.
Monsieur Zimmer, escorté d’une dizaine de laquais en perruque et habit, revint dans la salle quelques minutes plus tard, pour y claquer trois fois des mains et signaler ainsi l’ouverture de la soirée.
Aussitôt, les serveurs se mirent à leur poste et l’orchestre entama une suite dont je n’ai pu deviner le compositeur.
Les invités arrivèrent enfin par grappes d’affinité et remplirent bien vite de leur brouhaha cette immense salle au point qu’il y fut bientôt vite difficile et de se déplacer et d’entendre une quelconque musique.
Un serveur du nom de Franz s’était placé à la table près de moi pour dispenser à qui voulait un verre de champagne français ou quelque vin de Hongrie.
Ce Franz me fut précieux tout au long de cette soirée non seulement pour étancher ma soif et ma faim, mais aussi pour me renseigner sur l’identité de tel ou tel personnage qui se démarquait de la foule, car ce domestique de longue carrière connaissait sur le bout des doigts toute sa société viennoise.
Inutile de préciser que je vis s’ébrouer ce soir-là le gratin de Vienne et de l’Autriche : Des princes, des généraux, des cardinaux et des évêques, des grands bourgeois richissimes, des écrivains, des peintres et bien sûr pour mon plus grand régal, les plus grands musiciens du monde !
A cet égard, c’est Monsieur Gluck que je découvris le premier : Il fut installé dans un fauteuil par Monsieur Zimmer près du piano à quelques centimètres de moi et n’en bougea pas de toute la soirée.
Déjà excité par le vin, j’arrachai un verre des mains de Franz et je m’approchai de ce compositeur génial pour le lui offrir.
Christoph Willibald Gluck, qui devait mourir de sa belle mort quelques mois plus tard, accepta mon offrande avec un large sourire ; il but le verre d’un trait et me le rendit aussitôt. J’échangeai quelques mots avec lui, mais notre conversation fut écourtée par l’arrivée d’admirateurs dont la bêtise courtisane me repoussa bien vite dans « mon coin » discret.
Je ne fus pas dépité bien longtemps car Franz me glissa dans l’oreille que l’homme qu’il venait de servir et qui tournait alors autour du piano n’était autre que le grand Joseph Haydn !
Pour le coup, je crus défaillir, mais après avoir sifflé toute une flûte de champagne, je m’approchai du maître et je lui demandai ce qu’il pensait de l’instrument.
Ce moment-là me transporta sur un petit nuage dont je n’avais jamais imaginé la volupté : Monsieur Haydn me répondit tout sourire et me combla de sympathie et nous entamâmes alors une longue conversation sur les valeurs respectives du jeune piano et de l’antique clavecin.
Nous fûmes bientôt rejoints dans ce débat par un garçon de mon âge qui à mon instar était vêtu dignement, mais tout aussi simplement et qui paraissait être aussi fou que moi de musique et de musiciens !
J’avais pris faussement le parti de la tradition et je défendais les attraits du clavecin ; l’autre jeune homme défendait mordicus la modernité du piano et quant à Joseph Haydn, il nous écoutait, amusé sans doute quelque peu admiratif de notre fougue et de notre érudition à défendre notre point de vue.
Sans vanité de ma part, j’étais sur le point de convaincre ces interlocuteurs quand Monsieur Salieri arriva.
L’autre jeune homme et moi-même, nous dûmes alors nous éclipser avec courtoisie non sans avoir saluer bien bas le maître de chapelle de l’empereur et le premier musicien de l’Autriche qu’était Antonio Salieri.
En effet, ce magnifique compositeur, il faut le dire, capta aussitôt toute l’attention de Monsieur Haydn sur des sujets qui ne semblaient pas nous regarder ni de près ni de loin, gamins que nous étions !
A ma grande surprise et par la suite à mon plus grand bonheur, l’autre jeune homme m’accompagna dans le coin qui m’était assigné.
Sans poursuivre notre débat, nous restâmes là tous les deux côtes à côtes, un long moment et en silence à contempler cette agitation tout en sirotant des verres que Franz ne manquait pas de nous remplir.
L’alcool aidant, nous fîmes connaissance en nous moquant quelques peu de toutes les attitudes grotesques que nous avions un peu pour paysage.
Et lui de me dire en pouffant : « Mais votre verre est vide, mon ami ! Remuez donc ces indolents domestiques pour qu’ils vous servent enfin, que diable ! »
Et moi riant de répondre : « Très cher, fouettons ces paresseux certes, mais cessez de boire ainsi dans mon verre ! »
Et tous deux ensuite de nous plier de rire à la limite de la nausée !
Je me dois de préciser que cet instant jubilatoire et immortel nous baptisa de nouveau en quelque sorte, ce compagnon et moi : Oubliant mon prénom pour le reste de notre longue et grande amitié, il ne m’appela plus que par un « Mon ami » et pour ma part, je ne le désignai désormais que par un « Très cher »
Nous dégrisâmes bien vite car un silence incroyable se fit tout d’un coup dans la salle.
Ce silence fut tel que même l’orchestre s’interrompit complètement déboussolé.
La foule ébahie se fendit alors en deux – telle la mer devant Moïse - pour laisser passer un homme qui se dirigea droit sur notre Franz et l’embrassa avec une telle virilité et une telle affection que tout le monde en fut plus ému que choqué.
Et notre Franz de dire tout haut après un tel geste : « Bonsoir Wolfgang ! »
Ce fut là Monsieur Wolfgang Amadeus Mozart qui sauta comme un diablotin sur mon petit nuage et qui entra ainsi dans ma vie !
Monsieur Mozart se dirigea alors vers Monsieur Gluck qu’il abreuva de compliments et de caresses avant de rejoindre Messieurs Haydn et Salieri avec qui il se glissa aussitôt dans un étrange conciliabule : La joute des dieux pouvait enfin commencer !
La comtesse von Hoeffner apparut, portant des partitions qu’elle remit à chacun de ces musiciens.
Seul Monsieur Gluck, s’estimant trop âgé et trop impotent, déclina le tournoi.
A la grande déception de mon « Très cher » et de moi-même, la comtesse annonça ensuite que Monsieur Carl Phillip Emmanuel Bach était bien arrivé à Vienne, mais que trop fatigué par le voyage, il avait préféré rester à son hôtel pour ce soir.
Cette nouvelle était d’autant plus malheureuse que l’objet de la joute musicale était une improvisation au clavier sur un thème du divin Jean Sébastien Bach tiré d’une de ses plus belles œuvres, le choral « Nun Komm der Heiden Heiland » (Voici venir le royaume des cieux)
Mon « Très cher » me confia alors sa déception : combien il eut été comblé d’entendre le fils Bach, qui plus est filleul du subtil Telemann, improviser au piano sur un thème si fameux de son propre père !
Le sort désigna Monsieur Haydn pour commencer : Dans un silence de cathédrale, les notes du piano s’élevèrent vraiment jusqu’au paradis à un point qu’à mes côtés, je sentais presque vibrer mon « Très cher » tel un tuyau d’orgue !
Moi-même j’en fus retourné.
En tant qu’organiste et claveciniste de formation, si tout d’abord j’eus bien de la peine à habituer mon oreille aux sons de ce nouvel instrument qu’était le piano, bien vite et bien fort les doigts de Joseph Haydn étreignirent mon cerveau et mon âme de musicien pour enfin me laisser telle une poupée vidée de cire et de son, mais combien béate de plénitude, de sagesse et de beauté !
Haydn, il faut le dire, improvisa dans un style jamais entendu jusqu’alors : Quelque chose de mélancolique, d’angoissé, de traîné, de sirupeux aussi un peu ; un style que mon « Très cher » qualifiera par la suite de « romancé » sans que je n’en comprisse vraiment le terme !
Nous apprîmes plus tard que même Monsieur Mozart reprocha en toute amitié à Monsieur Haydn ce « laisser-aller stylistique »
Joseph Haydn fut applaudi comme il se devait pour une telle prestation et par une telle audience car ne sachant pas très bien comment prendre la chose, ces aristocrates et ces bourgeois firent de conserve plutôt le choix de l’applaudissement poli à l’ovation unanime ou au silence réprobateur !
Monsieur Salieri prit ensuite le clavier pour improviser dans le plus pur style italien de son origine qui fit sa réputation et sa condition. A cet égard, personne ne fut déçu !
Ce maître transcenda le thème à sa manière et l’on eut cru entendre du pur Scarlatti couler dans nos oreilles toutes ouies !
C’était vraiment admirable au niveau musical et il en fut ovationné comme il fallut (plus pour sa condition de « Maître de chapelle de l’empereur » que pour sa prestation, évidemment !)
A ce stade, mon « Très cher » était dans tous ses états et il bouillait comme moi d’entendre enfin le célébrissime Monsieur Mozart !
Quelle ne fut pas notre surprise de voir alors Monsieur Gluck se lever et demander le clavier !
Sous un tonnerre d’applaudissement, ce vieillard s’assit au piano et sans même avoir relu la partition, il improvisa sur le thème de Bach dans le style « Français » le plus juste et le plus pur qu’on ait jamais entendu !
Le chant du cygne ?
En écoutant cela, je crus que mon « Très cher » et moi-même allions nous élever dans les airs comme des papillons de bonheur !
Ce fut sublime !
Pour vous dire, à la fin, Monsieur Haydn but du vin à même la bouteille et Monsieur Mozart fit au moins vingt mètres en sautant comme une puce !
Enfin, dans un silence indescriptible, Wolfgang Amadeus Mozart se mit au clavier et joua.
Il joua du Mozart.
Il joua du Bach.
Il joua du Mozart encore.
Il joua du Bach aussi
Il joua du Mozart enfin
Bref, Monsieur Mozart joua !
Et nous jouîmes !
Oh là, là ! Que nous jouissions !
Moi et mon « Très cher » nous avons failli tomber en syncope de concert !
Pour tout vous dire !
Heureusement que Franz vint à notre secours avec quelque bouteille !
Mais Mozart sembla vouloir vraiment nous achever en enchaînant tout de go avec une de ses compositions : Une sonate, sa sonate « Alla turca » qui resta à jamais gravée dans ma mémoire, à jamais !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Gravée dans ma mémoire…
A jamais vous dis-je !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
A jamais !
Je ne me souviens plus très bien de la fin de cette fête sinon le souvenir d’avoir bu dans le verre de Monsieur Salieri et de m’être moqué de mon « Très cher » qui avait bu dans celui de Mozart !
Mon nouvel ami et moi, nous avons ensuite arpenté les rues nocturnes et désertes de Vienne, bras dessus dessous, en chantant à tue tête la sonate de Monsieur Mozart.
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Et une colonne de la peste, très cher, une !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Et tiens Mon ami, voilà la rue Machinchouette, santé !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Bref, mon ami et moi étions saouls !
Mais nous étions plus ivres de beauté, de souvenirs et de musique que de vin en fait.
C’est ce que nous dîmes lorsque nous nous quittâmes au petit matin en nous promettant de nous retrouver en début d’après-midi à la porte du cimetière du Burgerspital. En effet, mon très cher nouvel ami me promit de m’accompagner dans la prière sur la tombe de ce musicien inconnu que le père Abbé de Melk m’avait demandé de faire pour lui.
Cette nuit-là, je ne dormis, lourdement, qu’une poignée d’heures pour me retrouver flambant neuf aux portes du cimetière où je retrouvai bien vite mon « Très cher » aussi frais que moi !
Nous arpentâmes alors les allées de cette petite nécropole à la recherche de la sépulture d’un certain « Antonio Vivaldi » que nous ne connaissions ni l’un, ni l’autre.
Nous errâmes en vain pendant plus d’une demi-heure pour décider enfin d’aller consulter le préposé du cimetière.
Celui-là, mal réveillé de sa sieste, nous jeta dehors sans ménagement car je ne connaissais pas la date exacte de l’inhumation de ce Vivaldi de malheur !
Mon ami me proposa alors d’aller boire une bonne pinte à la mémoire de ce foutu Italien
Ce fut une idée que j’acceptai aussitôt et merde quoi « Très cher » !
Au détour d’un mausolée cependant, nous eûmes la très grande surprise d’apercevoir un groupe d’hommes en grand conciliabule et parmi lesquels nous reconnûmes tout de suite Monsieur Haydn !
Ce dernier d’ailleurs nous aperçut et nous fit signe de se joindre à eux.
A notre plus grande stupeur, nous découvrîmes alors qu’il y avait là aussi, Monsieur Salieri, Monsieur Mozart et assis sur des strapontins, Monsieur Gluck et une autre vieux personnage inconnu de nous.
Nous apprîmes bientôt que ce vieillard n’était autre que le divin Carl Phillip Emmanuel Bach en personne, le père vivant de tous les musiciens !
Ce dernier, fort sympathique, nous informa tout de suite de la conversation qu’ils avaient tous devant la tombe d’Antonio Vivaldi que nous avions alors enfin trouvée : A savoir, la qualité des œuvres de l’Italien face aux transcriptions de celles-ci effectués par son père, Jean Sébastien Bach !
Ne connaissant ni les unes ni les autres, mon ami et moi, éberlués, nous donnâmes d’emblée et en quelque sorte « notre langue au chat » !
Notre réaction fut accueillie avec une telle satisfaction et avec une telle amitié que nous en eûmes bientôt les larmes aux yeux.
Monsieur Mozart nous demanda alors ce que deux jeunes garnements de notre espèce faisaient en ce lieu !
Je lui avouai alors la requête du père abbé de Melk.
Monsieur Mozart baissa la tête; Monsieur Haydn leva les yeux au ciel ; Monsieur Salieri toussa ; Monsieur Gluck sourit et Monsieur Bach, grand luthérien devant l’Eternel hocha la tête avant de dire : « Que la volonté de l’abbé de Melk soit faite ! »
Il se passa ensuite la scène la plus incroyable qui soit : Aussitôt dit, mon « Très cher » se mit à genoux au droit de la tombe d’Antonio Vivaldi et joignit les mains en signe de prière !
Monsieur Salieri s’agenouilla tout de go.
Monsieur Haydn aida Monsieur Gluck à se lever puis à poser un genou à terre !
Monsieur Mozart fit de même avec Monsieur Bach !
Je tombai à terre moi aussi comme les autres pour écouter, tétanisé, la plus extraordinaire prière que mon « Très cher » déclara alors pour le salut de l’âme d’Antonio Vivaldi !
Ô toi qui lis ces phrases, le croiras-tu ?
Moi Johann Christian Sulzer, 17 ans aux fraises, fils d’un modeste artisan de Spitz sur le Danube, en ce jour du 9 avril 1787, au cimetière du Burgerspital à Vienne, Autriche, j’ai prié pour le père abbé de Melk sur la tombe d’Antonio Vivaldi, entouré des plus grands musiciens vivants du monde !
Ô toi qui lis ces phrases, le croiras-tu ?
Moi Johann Christian Sulzer, 17 ans, ce jour du 9 avril 1787, j’ai prié aux larmes pour l’âme du Padre Antonio Vivaldi entouré de Joseph Haydn, d’Antonio Salieri, de Wolfgang Amadeus Mozart, de Christoph Willibald Gluck, de Carl Philipp Emmanuel Bach et de mon « Très cher », mon très cher ami, mon très cher Ludwig, Ludwig van Beethoven !
Martin Lothar, le 9 février 2008
Note : On pourra me dire ce que l’on voudra, mais la seule « incohérence » dans ce texte est la présence de CPE Bach à Vienne le 9 avril 1787.
Ce musicien, fils de JS Bach et filleul de Telemann était sûrement à cette date cloué à Hambourg par plus de soixante-dix ans et il n’aura de sa vie jamais mis les pieds à Vienne où il était pourtant connu comme le loup blanc et vénéré comme le dernier des maîtres ;
Tout le reste est possible, mais improbable.
Beethoven, à 17 ans, rencontra effectivement Mozart en avril 1787 à Vienne et fut l’élève zélé d’Haydn quelques années après, à Vienne toujours.
Il rencontra certainement Gluck, un des maîtres de l’opéra de l’époque, qui mourut en novembre 1787 dans cette capitale de l’Autriche !
Contrairement au scénario du film « Amadeus » de Forman, Mozart et Salieri s’estimaient beaucoup, bien qu’ils se jalousassent certainement, l’un pour le génie de l’autre et l’autre pour le poste de l’un !
Salieri fut du reste un superbe compositeur trop méconnu de nos jours encore…
Haydn et Mozart furent de très grands amis ; c’est historique.
Antonio Vivaldi mourut à Vienne – plus pauvre et plus seul que Mozart - et fut inhumé dans ledit cimetière du Burgerspital aujourd’hui disparu. On raconte que Joseph Haydn fut enfant de chœur à son enterrement !
On pourra me dire ce que l’on voudra, hein !
Ce bon professeur posa sa main sur mon épaule et m’informa que compte tenu de ma brillante prestation lors de la dernière messe à l’abbaye de Melk, le père abbé m’offrait un voyage à Vienne où grâce à une de ses connaissances, je pourrais participer à la célèbre soirée musicale du Printemps organisée par la Comtesse von Hoeffner.
Je fus aux anges en entendant ça : Moi Johann Christian Sulzer, 17 ans aux fraises, fils d’un modeste artisan de Spitz sur le Danube, j’allais être dans quelques jours dans la plus belle ville du monde pour y voir et entendre peut-être les plus grands compositeurs de ce siècle : Monsieur Gluck, Monsieur Salieri, Monsieur Haydn, Monsieur Mozart et tant d’autres encore !
J’ai libéré ma joie en sautant au cou de mon professeur qui faillit en tomber à la renverse.
Le lendemain, je me rendis à Melk où le père abbé me remit de l’argent, des papiers de recommandation et des adresses tout en m’instruisant de certaines courses que je devrai faire pour lui à Vienne et notamment, il me chargea d’aller dire une prière de sa part sur la tombe d’un musicien inconnu de moi.
Il faut dire que ce père abbé était un très grand mélomane et aussi un organiste hors pair dont les goûts ne se limitaient pas à la musique liturgique : Il appréciait énormément la musique de chambre, les concertos, les symphonies et il me dit même sous le sceau du secret, qu’il n’aurait pas détesté entendre un de ces opéras modernes si sa fonction ne lui interdisait.
Avant de me congédier, il me livra une information qui faillit encore me faire évanouir d’émotion : La soirée musicale du Printemps sera peut-être honorée de la présence de Monsieur Carl Philippe Emmanuel Bach en personne ! Le fils du grand Jean-Sébastien et notre vivant maître à tous.
L’abbé émit tout de suite des réserves sur cette venue à Vienne de Monsieur Bach eu égard à son très grand âge et à la longueur du trajet depuis Hambourg, mais il me souhaita quand même la bonne chance d’avoir cette sublime opportunité.
Moins d’une semaine plus tard, j’entrai dans Vienne le cœur battant.
Je louai une chambre dans une des pensions que m’avait recommandée l’Abbé et je me rendis aussitôt au palais de la Comtesse von Hoeffner pour me présenter à Monsieur Zimmer, un de ses chambellans.
C’est ce personnage, cousin éloigné de l’Abbé, qui me donna les consignes pour assister à la soirée prévue le lendemain soir même.
En fait, j’appris alors que je n’y étais pas officiellement convié. Cependant Monsieur Zimmer me ferait entrer dans le palais avant la foule et il me placerait dans un endroit discret de la salle de gala que je ne devrai pas quitter un seul instant, mais d’où je pourrai voir la plupart des invités et assister à tous les concerts.
Ayant remercié vivement mon « entremetteur » je m’occupai à chercher un costume de soirée à louer tout en musardant dans les rues de Vienne que je découvris avec ravissement.
Je passai toute la journée suivante à compléter cette visite et à butiner aux étalages des marchands de musiques en quête de partitions de tout genre tant pour moi que pour l’abbé et pour mon professeur.
Le soir, à l’heure indiquée, je me présentai de nouveau à Monsieur Zimmer qui m’installa sur un tabouret dans un coin de la salle de gala, coincé entre l’estrade de l’orchestre, un piano-forte et une table de service.
Les quelque vingt musiciens étaient déjà installés et préparaient leurs instruments non sans lorgner de temps en temps sur le superbe piano ; un instrument bien moderne que pour ma part je voyais pour la première fois de ma vie.
Monsieur Zimmer, escorté d’une dizaine de laquais en perruque et habit, revint dans la salle quelques minutes plus tard, pour y claquer trois fois des mains et signaler ainsi l’ouverture de la soirée.
Aussitôt, les serveurs se mirent à leur poste et l’orchestre entama une suite dont je n’ai pu deviner le compositeur.
Les invités arrivèrent enfin par grappes d’affinité et remplirent bien vite de leur brouhaha cette immense salle au point qu’il y fut bientôt vite difficile et de se déplacer et d’entendre une quelconque musique.
Un serveur du nom de Franz s’était placé à la table près de moi pour dispenser à qui voulait un verre de champagne français ou quelque vin de Hongrie.
Ce Franz me fut précieux tout au long de cette soirée non seulement pour étancher ma soif et ma faim, mais aussi pour me renseigner sur l’identité de tel ou tel personnage qui se démarquait de la foule, car ce domestique de longue carrière connaissait sur le bout des doigts toute sa société viennoise.
Inutile de préciser que je vis s’ébrouer ce soir-là le gratin de Vienne et de l’Autriche : Des princes, des généraux, des cardinaux et des évêques, des grands bourgeois richissimes, des écrivains, des peintres et bien sûr pour mon plus grand régal, les plus grands musiciens du monde !
A cet égard, c’est Monsieur Gluck que je découvris le premier : Il fut installé dans un fauteuil par Monsieur Zimmer près du piano à quelques centimètres de moi et n’en bougea pas de toute la soirée.
Déjà excité par le vin, j’arrachai un verre des mains de Franz et je m’approchai de ce compositeur génial pour le lui offrir.
Christoph Willibald Gluck, qui devait mourir de sa belle mort quelques mois plus tard, accepta mon offrande avec un large sourire ; il but le verre d’un trait et me le rendit aussitôt. J’échangeai quelques mots avec lui, mais notre conversation fut écourtée par l’arrivée d’admirateurs dont la bêtise courtisane me repoussa bien vite dans « mon coin » discret.
Je ne fus pas dépité bien longtemps car Franz me glissa dans l’oreille que l’homme qu’il venait de servir et qui tournait alors autour du piano n’était autre que le grand Joseph Haydn !
Pour le coup, je crus défaillir, mais après avoir sifflé toute une flûte de champagne, je m’approchai du maître et je lui demandai ce qu’il pensait de l’instrument.
Ce moment-là me transporta sur un petit nuage dont je n’avais jamais imaginé la volupté : Monsieur Haydn me répondit tout sourire et me combla de sympathie et nous entamâmes alors une longue conversation sur les valeurs respectives du jeune piano et de l’antique clavecin.
Nous fûmes bientôt rejoints dans ce débat par un garçon de mon âge qui à mon instar était vêtu dignement, mais tout aussi simplement et qui paraissait être aussi fou que moi de musique et de musiciens !
J’avais pris faussement le parti de la tradition et je défendais les attraits du clavecin ; l’autre jeune homme défendait mordicus la modernité du piano et quant à Joseph Haydn, il nous écoutait, amusé sans doute quelque peu admiratif de notre fougue et de notre érudition à défendre notre point de vue.
Sans vanité de ma part, j’étais sur le point de convaincre ces interlocuteurs quand Monsieur Salieri arriva.
L’autre jeune homme et moi-même, nous dûmes alors nous éclipser avec courtoisie non sans avoir saluer bien bas le maître de chapelle de l’empereur et le premier musicien de l’Autriche qu’était Antonio Salieri.
En effet, ce magnifique compositeur, il faut le dire, capta aussitôt toute l’attention de Monsieur Haydn sur des sujets qui ne semblaient pas nous regarder ni de près ni de loin, gamins que nous étions !
A ma grande surprise et par la suite à mon plus grand bonheur, l’autre jeune homme m’accompagna dans le coin qui m’était assigné.
Sans poursuivre notre débat, nous restâmes là tous les deux côtes à côtes, un long moment et en silence à contempler cette agitation tout en sirotant des verres que Franz ne manquait pas de nous remplir.
L’alcool aidant, nous fîmes connaissance en nous moquant quelques peu de toutes les attitudes grotesques que nous avions un peu pour paysage.
Et lui de me dire en pouffant : « Mais votre verre est vide, mon ami ! Remuez donc ces indolents domestiques pour qu’ils vous servent enfin, que diable ! »
Et moi riant de répondre : « Très cher, fouettons ces paresseux certes, mais cessez de boire ainsi dans mon verre ! »
Et tous deux ensuite de nous plier de rire à la limite de la nausée !
Je me dois de préciser que cet instant jubilatoire et immortel nous baptisa de nouveau en quelque sorte, ce compagnon et moi : Oubliant mon prénom pour le reste de notre longue et grande amitié, il ne m’appela plus que par un « Mon ami » et pour ma part, je ne le désignai désormais que par un « Très cher »
Nous dégrisâmes bien vite car un silence incroyable se fit tout d’un coup dans la salle.
Ce silence fut tel que même l’orchestre s’interrompit complètement déboussolé.
La foule ébahie se fendit alors en deux – telle la mer devant Moïse - pour laisser passer un homme qui se dirigea droit sur notre Franz et l’embrassa avec une telle virilité et une telle affection que tout le monde en fut plus ému que choqué.
Et notre Franz de dire tout haut après un tel geste : « Bonsoir Wolfgang ! »
Ce fut là Monsieur Wolfgang Amadeus Mozart qui sauta comme un diablotin sur mon petit nuage et qui entra ainsi dans ma vie !
Monsieur Mozart se dirigea alors vers Monsieur Gluck qu’il abreuva de compliments et de caresses avant de rejoindre Messieurs Haydn et Salieri avec qui il se glissa aussitôt dans un étrange conciliabule : La joute des dieux pouvait enfin commencer !
La comtesse von Hoeffner apparut, portant des partitions qu’elle remit à chacun de ces musiciens.
Seul Monsieur Gluck, s’estimant trop âgé et trop impotent, déclina le tournoi.
A la grande déception de mon « Très cher » et de moi-même, la comtesse annonça ensuite que Monsieur Carl Phillip Emmanuel Bach était bien arrivé à Vienne, mais que trop fatigué par le voyage, il avait préféré rester à son hôtel pour ce soir.
Cette nouvelle était d’autant plus malheureuse que l’objet de la joute musicale était une improvisation au clavier sur un thème du divin Jean Sébastien Bach tiré d’une de ses plus belles œuvres, le choral « Nun Komm der Heiden Heiland » (Voici venir le royaume des cieux)
Mon « Très cher » me confia alors sa déception : combien il eut été comblé d’entendre le fils Bach, qui plus est filleul du subtil Telemann, improviser au piano sur un thème si fameux de son propre père !
Le sort désigna Monsieur Haydn pour commencer : Dans un silence de cathédrale, les notes du piano s’élevèrent vraiment jusqu’au paradis à un point qu’à mes côtés, je sentais presque vibrer mon « Très cher » tel un tuyau d’orgue !
Moi-même j’en fus retourné.
En tant qu’organiste et claveciniste de formation, si tout d’abord j’eus bien de la peine à habituer mon oreille aux sons de ce nouvel instrument qu’était le piano, bien vite et bien fort les doigts de Joseph Haydn étreignirent mon cerveau et mon âme de musicien pour enfin me laisser telle une poupée vidée de cire et de son, mais combien béate de plénitude, de sagesse et de beauté !
Haydn, il faut le dire, improvisa dans un style jamais entendu jusqu’alors : Quelque chose de mélancolique, d’angoissé, de traîné, de sirupeux aussi un peu ; un style que mon « Très cher » qualifiera par la suite de « romancé » sans que je n’en comprisse vraiment le terme !
Nous apprîmes plus tard que même Monsieur Mozart reprocha en toute amitié à Monsieur Haydn ce « laisser-aller stylistique »
Joseph Haydn fut applaudi comme il se devait pour une telle prestation et par une telle audience car ne sachant pas très bien comment prendre la chose, ces aristocrates et ces bourgeois firent de conserve plutôt le choix de l’applaudissement poli à l’ovation unanime ou au silence réprobateur !
Monsieur Salieri prit ensuite le clavier pour improviser dans le plus pur style italien de son origine qui fit sa réputation et sa condition. A cet égard, personne ne fut déçu !
Ce maître transcenda le thème à sa manière et l’on eut cru entendre du pur Scarlatti couler dans nos oreilles toutes ouies !
C’était vraiment admirable au niveau musical et il en fut ovationné comme il fallut (plus pour sa condition de « Maître de chapelle de l’empereur » que pour sa prestation, évidemment !)
A ce stade, mon « Très cher » était dans tous ses états et il bouillait comme moi d’entendre enfin le célébrissime Monsieur Mozart !
Quelle ne fut pas notre surprise de voir alors Monsieur Gluck se lever et demander le clavier !
Sous un tonnerre d’applaudissement, ce vieillard s’assit au piano et sans même avoir relu la partition, il improvisa sur le thème de Bach dans le style « Français » le plus juste et le plus pur qu’on ait jamais entendu !
Le chant du cygne ?
En écoutant cela, je crus que mon « Très cher » et moi-même allions nous élever dans les airs comme des papillons de bonheur !
Ce fut sublime !
Pour vous dire, à la fin, Monsieur Haydn but du vin à même la bouteille et Monsieur Mozart fit au moins vingt mètres en sautant comme une puce !
Enfin, dans un silence indescriptible, Wolfgang Amadeus Mozart se mit au clavier et joua.
Il joua du Mozart.
Il joua du Bach.
Il joua du Mozart encore.
Il joua du Bach aussi
Il joua du Mozart enfin
Bref, Monsieur Mozart joua !
Et nous jouîmes !
Oh là, là ! Que nous jouissions !
Moi et mon « Très cher » nous avons failli tomber en syncope de concert !
Pour tout vous dire !
Heureusement que Franz vint à notre secours avec quelque bouteille !
Mais Mozart sembla vouloir vraiment nous achever en enchaînant tout de go avec une de ses compositions : Une sonate, sa sonate « Alla turca » qui resta à jamais gravée dans ma mémoire, à jamais !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Gravée dans ma mémoire…
A jamais vous dis-je !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
A jamais !
Je ne me souviens plus très bien de la fin de cette fête sinon le souvenir d’avoir bu dans le verre de Monsieur Salieri et de m’être moqué de mon « Très cher » qui avait bu dans celui de Mozart !
Mon nouvel ami et moi, nous avons ensuite arpenté les rues nocturnes et désertes de Vienne, bras dessus dessous, en chantant à tue tête la sonate de Monsieur Mozart.
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Et une colonne de la peste, très cher, une !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Et tiens Mon ami, voilà la rue Machinchouette, santé !
« Ta, ta, ta, ta ta ta ta… »
Bref, mon ami et moi étions saouls !
Mais nous étions plus ivres de beauté, de souvenirs et de musique que de vin en fait.
C’est ce que nous dîmes lorsque nous nous quittâmes au petit matin en nous promettant de nous retrouver en début d’après-midi à la porte du cimetière du Burgerspital. En effet, mon très cher nouvel ami me promit de m’accompagner dans la prière sur la tombe de ce musicien inconnu que le père Abbé de Melk m’avait demandé de faire pour lui.
Cette nuit-là, je ne dormis, lourdement, qu’une poignée d’heures pour me retrouver flambant neuf aux portes du cimetière où je retrouvai bien vite mon « Très cher » aussi frais que moi !
Nous arpentâmes alors les allées de cette petite nécropole à la recherche de la sépulture d’un certain « Antonio Vivaldi » que nous ne connaissions ni l’un, ni l’autre.
Nous errâmes en vain pendant plus d’une demi-heure pour décider enfin d’aller consulter le préposé du cimetière.
Celui-là, mal réveillé de sa sieste, nous jeta dehors sans ménagement car je ne connaissais pas la date exacte de l’inhumation de ce Vivaldi de malheur !
Mon ami me proposa alors d’aller boire une bonne pinte à la mémoire de ce foutu Italien
Ce fut une idée que j’acceptai aussitôt et merde quoi « Très cher » !
Au détour d’un mausolée cependant, nous eûmes la très grande surprise d’apercevoir un groupe d’hommes en grand conciliabule et parmi lesquels nous reconnûmes tout de suite Monsieur Haydn !
Ce dernier d’ailleurs nous aperçut et nous fit signe de se joindre à eux.
A notre plus grande stupeur, nous découvrîmes alors qu’il y avait là aussi, Monsieur Salieri, Monsieur Mozart et assis sur des strapontins, Monsieur Gluck et une autre vieux personnage inconnu de nous.
Nous apprîmes bientôt que ce vieillard n’était autre que le divin Carl Phillip Emmanuel Bach en personne, le père vivant de tous les musiciens !
Ce dernier, fort sympathique, nous informa tout de suite de la conversation qu’ils avaient tous devant la tombe d’Antonio Vivaldi que nous avions alors enfin trouvée : A savoir, la qualité des œuvres de l’Italien face aux transcriptions de celles-ci effectués par son père, Jean Sébastien Bach !
Ne connaissant ni les unes ni les autres, mon ami et moi, éberlués, nous donnâmes d’emblée et en quelque sorte « notre langue au chat » !
Notre réaction fut accueillie avec une telle satisfaction et avec une telle amitié que nous en eûmes bientôt les larmes aux yeux.
Monsieur Mozart nous demanda alors ce que deux jeunes garnements de notre espèce faisaient en ce lieu !
Je lui avouai alors la requête du père abbé de Melk.
Monsieur Mozart baissa la tête; Monsieur Haydn leva les yeux au ciel ; Monsieur Salieri toussa ; Monsieur Gluck sourit et Monsieur Bach, grand luthérien devant l’Eternel hocha la tête avant de dire : « Que la volonté de l’abbé de Melk soit faite ! »
Il se passa ensuite la scène la plus incroyable qui soit : Aussitôt dit, mon « Très cher » se mit à genoux au droit de la tombe d’Antonio Vivaldi et joignit les mains en signe de prière !
Monsieur Salieri s’agenouilla tout de go.
Monsieur Haydn aida Monsieur Gluck à se lever puis à poser un genou à terre !
Monsieur Mozart fit de même avec Monsieur Bach !
Je tombai à terre moi aussi comme les autres pour écouter, tétanisé, la plus extraordinaire prière que mon « Très cher » déclara alors pour le salut de l’âme d’Antonio Vivaldi !
Ô toi qui lis ces phrases, le croiras-tu ?
Moi Johann Christian Sulzer, 17 ans aux fraises, fils d’un modeste artisan de Spitz sur le Danube, en ce jour du 9 avril 1787, au cimetière du Burgerspital à Vienne, Autriche, j’ai prié pour le père abbé de Melk sur la tombe d’Antonio Vivaldi, entouré des plus grands musiciens vivants du monde !
Ô toi qui lis ces phrases, le croiras-tu ?
Moi Johann Christian Sulzer, 17 ans, ce jour du 9 avril 1787, j’ai prié aux larmes pour l’âme du Padre Antonio Vivaldi entouré de Joseph Haydn, d’Antonio Salieri, de Wolfgang Amadeus Mozart, de Christoph Willibald Gluck, de Carl Philipp Emmanuel Bach et de mon « Très cher », mon très cher ami, mon très cher Ludwig, Ludwig van Beethoven !
Martin Lothar, le 9 février 2008
Note : On pourra me dire ce que l’on voudra, mais la seule « incohérence » dans ce texte est la présence de CPE Bach à Vienne le 9 avril 1787.
Ce musicien, fils de JS Bach et filleul de Telemann était sûrement à cette date cloué à Hambourg par plus de soixante-dix ans et il n’aura de sa vie jamais mis les pieds à Vienne où il était pourtant connu comme le loup blanc et vénéré comme le dernier des maîtres ;
Tout le reste est possible, mais improbable.
Beethoven, à 17 ans, rencontra effectivement Mozart en avril 1787 à Vienne et fut l’élève zélé d’Haydn quelques années après, à Vienne toujours.
Il rencontra certainement Gluck, un des maîtres de l’opéra de l’époque, qui mourut en novembre 1787 dans cette capitale de l’Autriche !
Contrairement au scénario du film « Amadeus » de Forman, Mozart et Salieri s’estimaient beaucoup, bien qu’ils se jalousassent certainement, l’un pour le génie de l’autre et l’autre pour le poste de l’un !
Salieri fut du reste un superbe compositeur trop méconnu de nos jours encore…
Haydn et Mozart furent de très grands amis ; c’est historique.
Antonio Vivaldi mourut à Vienne – plus pauvre et plus seul que Mozart - et fut inhumé dans ledit cimetière du Burgerspital aujourd’hui disparu. On raconte que Joseph Haydn fut enfant de chœur à son enterrement !
On pourra me dire ce que l’on voudra, hein !
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