Dix-septième spectre (un médecin de famille)
Toutes les matrices se valent. Il y a là une égalité de principe, non pas fictive et politique, mais biologique et réelle. Les hommes ne
connaissent un sort égal qu'avant la naissance ou après le mort, au sein de la Mère ou dans la tombe. (Jean Rostand, Pensées d'un biologiste.)
Ce 20 avril, je fus réveillé bien avant l’aube par cette insupportable douleur à la cuisse droite.
C’était une souffrance qui me harcelait à toute heure du jour ou de la nuit depuis près de vingt ans ; un mal aigu, tenace, paralysant, que des potions d’opium de plus en plus fortes arrivaient à peine à calmer et qui s’évanouissait aussi soudainement qu’il venait.
C’était pour moi un intolérable souvenir de guerre qui à chaque crise me faisait de surcroît revivre les heures les plus sombres de ma vie.
Et à chaque fois aussi, des vieux remords revenaient pour me torturer l’esprit.
Mais comment avais-je pu aussi m’enrôler en tant que médecin dans ce régiment prussien d’artillerie qui ravagea Sedan en 1870 ?
Je n’étais pourtant déjà plus un jeune homme à cette époque et je ne suis jamais arrivé à comprendre pourquoi cette idée m’avait traversé la tête et m’avait autant séduit.
Sans doute je jugeai mon poste de chirurgien à l’hôpital de Munich trop lassant, trop ennuyeux, sans réel avenir ?
Je ne sus jamais non plus si l’obus qui éclata à moins de cinq mètres de moi et dont l’explosion m’emporta comme un fétu de paille était français ou allemand.
Je ne perdis pas connaissance et je constatais très vite que ma jambe était criblée de ferrailles.
J’avais été cependant plus griffé que mordu par les éclats et je fus remis d’aplomb en quelques jours pour demander une démobilisation accordée d’ailleurs sans problème.
Cette blessure guérie et exempte de toutes séquelles cliniques, ma propre médecine, comme celle de mes confrères, n’arrivèrent jamais à cerner la cause de la résurgence quasi quotidienne d’une douleur à chaque fois plus lancinante.
Un étrange stigmate, un éternel mystère de la science sans doute ou du moins un symptôme psychiatrique encore mal connu.
Dégoûté de telles mésaventures, je retournai penaud dans ma petite ville natale de Haute-Autriche où j’ouvris un cabinet de généraliste qui me fit devenir en quelques mois à peine un médecin de famille réputé en lequel les citadins de toutes conditions avait une entière confiance.
Ce 20 avril après avoir déjeuné et fait ma toilette, je m’apprêtai à ouvrir le cabinet quand un gamin surgit pour m’informer que l’on me demandait d’urgence pour un accouchement au n° 219 de la rue Vor.
En entendant cette adresse, je compris tout de suite que Clara, une patiente et une bonne amie de toujours n’avait pas voulu attendre la date convenue pour faire son œuvre de chair.
Le petit messager détala aussitôt en me criant qu’il allait prévenir le futur père déjà parti à son travail.
Ayant apposé sur ma porte un écriteau prévenant que le cabinet était fermé toute la matinée, je rejoignis prestement Clara à son domicile et une fois à son chevet, je constatai bien vite qu’elle avait perdu ses eaux et que l’enfant commençait à faire tout ce qu’il pouvait de lui-même pour sortir de son paradis maternel.
Clara était d’un très grand calme. Ce n’était pas son premier accouchement et elle avait pour moi une très grande écoute et une profonde amitié.
D’ailleurs, nous fûmes un temps un peu amoureux l’un de l’autre, bien je fus bien plus âgé qu’elle.
Au bout de plusieurs semaines toutefois, nous constatâmes avec une lucidité partagée que nous n’étions pas du même tempérament, que nous n’avions pas vraiment les mêmes goûts et les mêmes rêves et qu’un mariage aurait été sans aucun doute désastreux.
Finalement, elle avait épousé un honorable contrôleur des douanes, un homme triste, tatillon, sévère et sans grandes qualités, mais dont à ma grande surprise, elle semblait très éprise.
J’avais néanmoins gardé pour Clara mon amitié tout en fortifiant au fil du temps une réelle antipathie pour son mari, mais sans aucune animosité du reste.
Je fus même le parrain de leur premier enfant, mort hélas, à moins de deux ans.
En attendant la sage-femme, je discutai avec Clara qui eut bientôt ses premières contractions.
Si l’accouchement fut sans problème et très rapide, la mère perdit connaissance sans que j’eusse le temps de l’informer de la naissance d’un beau garçon qui bientôt s’agita en dégueulant et gueulant tout ce qu’il pouvait.
Après m’être rassuré sur la santé de la mère, je coupai le cordon et je tendis l’enfant à la sage-femme afin qu’elle le lave.
Cette dernière en s’approchant heurta la petite table supportant la bassine d’eau tiède et fit tomber le tout.
J’enroulai alors le bébé dans un linge et je décidai de le garder dans les bras le temps que l’infirmière fasse le voyage d’un étage à l’autre pour rapporter une nouvelle eau.
A peine eut-elle fermé la porte de la chambre que je sentis une douleur fulgurante me transpercer la cuisse à un tel point que je dus m’asseoir dans un fauteuil avec toutes les précautions possibles eu égard à mon paquet fragile.
Ce qui se passa ensuite fut le plus terrible moment de toute mon existence.
Je ne sus pas très bien combien de temps cela dura : Quelque deux, trois, cinq minutes, une poignée de secondes ?
Tout mon corps fut brusquement agité d’un tremblement irrépressible alors qu’un voile noir obscurcissait mes yeux.
Dans ma tête, je perçus des éclairs, puis bientôt ces images horribles, ces souvenirs ténébreux du cauchemar de la bataille à Sedan.
Je crus entendre les détonations, les explosions, les cris, les sonneries, les hurlements ; je revis ces corps d’hommes et de chevaux, morts, transpercés, éclatés, déchirés.
C’était effroyable.
Une nouvelle douleur suraiguë dans la cuisse me ramena à la réalité et je me retrouvai alors dans ce fauteuil ; le corps couvert de sueur, en transe ; le bébé s’endormant dans mes bras.
Abasourdi, je le contemplai un instant sans vraiment chercher à l’amadouer ou à le bercer et c’est alors qu’une pensée des plus ignobles me traversa le cerveau : J’eus le désir de tuer ce bébé.
…
J’eus cette incroyable envie d’assassiner ce nouveau-né !
…
Jamais de ma vie je n’aurais pu me croire capable d’une telle intention criminelle.
C’était comme si une voix en moi m’envoyait cet ordre abominable.
Pendant quelques secondes, j’échafaudai même les plans de ce meurtre en m’imaginant l’étrangler avec son propre cordon ombilical.
…
La sage-femme entra alors, portant la bassine qu’elle posa sur la table et m’enleva l’enfant des bras pour le laver.
Elle ne sembla pas avoir remarqué mon état tant elle était soucieuse de sa tâche.
Je restai un moment accablé dans le fauteuil, plus tourmenté d’avoir eu une telle idée de crime, qu’épuisé physiquement par une telle crise de folie.
Je ne me levai de mon siège qu’à l’arrivée du père qui me salua rapidement pour aller embrasser Clara qui venait de se réveiller.
La sage-femme ayant déposé l’enfant sur le lit près de sa mère, je pris congé du couple après leur avoir demandé le prénom à inscrire sur le certificat médical de naissance.
Je rédigeai ce document assis à la table du salon au rez-de-chaussée où j’écrivis en substance :
Ce 21 avril 1889, à 10 heures, au n° 219 Vorstadt, à Braunau am Inn, Autriche, je certifie avoir constaté la naissance d’un enfant de sexe masculin. Nom : Hitler ; Prénom : Adolf ; fils d’Alois Hitler et de Clara Pölzl etc.
Martin Lothar le 23 janvier 2008
Ce 20 avril, je fus réveillé bien avant l’aube par cette insupportable douleur à la cuisse droite.
C’était une souffrance qui me harcelait à toute heure du jour ou de la nuit depuis près de vingt ans ; un mal aigu, tenace, paralysant, que des potions d’opium de plus en plus fortes arrivaient à peine à calmer et qui s’évanouissait aussi soudainement qu’il venait.
C’était pour moi un intolérable souvenir de guerre qui à chaque crise me faisait de surcroît revivre les heures les plus sombres de ma vie.
Et à chaque fois aussi, des vieux remords revenaient pour me torturer l’esprit.
Mais comment avais-je pu aussi m’enrôler en tant que médecin dans ce régiment prussien d’artillerie qui ravagea Sedan en 1870 ?
Je n’étais pourtant déjà plus un jeune homme à cette époque et je ne suis jamais arrivé à comprendre pourquoi cette idée m’avait traversé la tête et m’avait autant séduit.
Sans doute je jugeai mon poste de chirurgien à l’hôpital de Munich trop lassant, trop ennuyeux, sans réel avenir ?
Je ne sus jamais non plus si l’obus qui éclata à moins de cinq mètres de moi et dont l’explosion m’emporta comme un fétu de paille était français ou allemand.
Je ne perdis pas connaissance et je constatais très vite que ma jambe était criblée de ferrailles.
J’avais été cependant plus griffé que mordu par les éclats et je fus remis d’aplomb en quelques jours pour demander une démobilisation accordée d’ailleurs sans problème.
Cette blessure guérie et exempte de toutes séquelles cliniques, ma propre médecine, comme celle de mes confrères, n’arrivèrent jamais à cerner la cause de la résurgence quasi quotidienne d’une douleur à chaque fois plus lancinante.
Un étrange stigmate, un éternel mystère de la science sans doute ou du moins un symptôme psychiatrique encore mal connu.
Dégoûté de telles mésaventures, je retournai penaud dans ma petite ville natale de Haute-Autriche où j’ouvris un cabinet de généraliste qui me fit devenir en quelques mois à peine un médecin de famille réputé en lequel les citadins de toutes conditions avait une entière confiance.
Ce 20 avril après avoir déjeuné et fait ma toilette, je m’apprêtai à ouvrir le cabinet quand un gamin surgit pour m’informer que l’on me demandait d’urgence pour un accouchement au n° 219 de la rue Vor.
En entendant cette adresse, je compris tout de suite que Clara, une patiente et une bonne amie de toujours n’avait pas voulu attendre la date convenue pour faire son œuvre de chair.
Le petit messager détala aussitôt en me criant qu’il allait prévenir le futur père déjà parti à son travail.
Ayant apposé sur ma porte un écriteau prévenant que le cabinet était fermé toute la matinée, je rejoignis prestement Clara à son domicile et une fois à son chevet, je constatai bien vite qu’elle avait perdu ses eaux et que l’enfant commençait à faire tout ce qu’il pouvait de lui-même pour sortir de son paradis maternel.
Clara était d’un très grand calme. Ce n’était pas son premier accouchement et elle avait pour moi une très grande écoute et une profonde amitié.
D’ailleurs, nous fûmes un temps un peu amoureux l’un de l’autre, bien je fus bien plus âgé qu’elle.
Au bout de plusieurs semaines toutefois, nous constatâmes avec une lucidité partagée que nous n’étions pas du même tempérament, que nous n’avions pas vraiment les mêmes goûts et les mêmes rêves et qu’un mariage aurait été sans aucun doute désastreux.
Finalement, elle avait épousé un honorable contrôleur des douanes, un homme triste, tatillon, sévère et sans grandes qualités, mais dont à ma grande surprise, elle semblait très éprise.
J’avais néanmoins gardé pour Clara mon amitié tout en fortifiant au fil du temps une réelle antipathie pour son mari, mais sans aucune animosité du reste.
Je fus même le parrain de leur premier enfant, mort hélas, à moins de deux ans.
En attendant la sage-femme, je discutai avec Clara qui eut bientôt ses premières contractions.
Si l’accouchement fut sans problème et très rapide, la mère perdit connaissance sans que j’eusse le temps de l’informer de la naissance d’un beau garçon qui bientôt s’agita en dégueulant et gueulant tout ce qu’il pouvait.
Après m’être rassuré sur la santé de la mère, je coupai le cordon et je tendis l’enfant à la sage-femme afin qu’elle le lave.
Cette dernière en s’approchant heurta la petite table supportant la bassine d’eau tiède et fit tomber le tout.
J’enroulai alors le bébé dans un linge et je décidai de le garder dans les bras le temps que l’infirmière fasse le voyage d’un étage à l’autre pour rapporter une nouvelle eau.
A peine eut-elle fermé la porte de la chambre que je sentis une douleur fulgurante me transpercer la cuisse à un tel point que je dus m’asseoir dans un fauteuil avec toutes les précautions possibles eu égard à mon paquet fragile.
Ce qui se passa ensuite fut le plus terrible moment de toute mon existence.
Je ne sus pas très bien combien de temps cela dura : Quelque deux, trois, cinq minutes, une poignée de secondes ?
Tout mon corps fut brusquement agité d’un tremblement irrépressible alors qu’un voile noir obscurcissait mes yeux.
Dans ma tête, je perçus des éclairs, puis bientôt ces images horribles, ces souvenirs ténébreux du cauchemar de la bataille à Sedan.
Je crus entendre les détonations, les explosions, les cris, les sonneries, les hurlements ; je revis ces corps d’hommes et de chevaux, morts, transpercés, éclatés, déchirés.
C’était effroyable.
Une nouvelle douleur suraiguë dans la cuisse me ramena à la réalité et je me retrouvai alors dans ce fauteuil ; le corps couvert de sueur, en transe ; le bébé s’endormant dans mes bras.
Abasourdi, je le contemplai un instant sans vraiment chercher à l’amadouer ou à le bercer et c’est alors qu’une pensée des plus ignobles me traversa le cerveau : J’eus le désir de tuer ce bébé.
…
J’eus cette incroyable envie d’assassiner ce nouveau-né !
…
Jamais de ma vie je n’aurais pu me croire capable d’une telle intention criminelle.
C’était comme si une voix en moi m’envoyait cet ordre abominable.
Pendant quelques secondes, j’échafaudai même les plans de ce meurtre en m’imaginant l’étrangler avec son propre cordon ombilical.
…
La sage-femme entra alors, portant la bassine qu’elle posa sur la table et m’enleva l’enfant des bras pour le laver.
Elle ne sembla pas avoir remarqué mon état tant elle était soucieuse de sa tâche.
Je restai un moment accablé dans le fauteuil, plus tourmenté d’avoir eu une telle idée de crime, qu’épuisé physiquement par une telle crise de folie.
Je ne me levai de mon siège qu’à l’arrivée du père qui me salua rapidement pour aller embrasser Clara qui venait de se réveiller.
La sage-femme ayant déposé l’enfant sur le lit près de sa mère, je pris congé du couple après leur avoir demandé le prénom à inscrire sur le certificat médical de naissance.
Je rédigeai ce document assis à la table du salon au rez-de-chaussée où j’écrivis en substance :
Ce 21 avril 1889, à 10 heures, au n° 219 Vorstadt, à Braunau am Inn, Autriche, je certifie avoir constaté la naissance d’un enfant de sexe masculin. Nom : Hitler ; Prénom : Adolf ; fils d’Alois Hitler et de Clara Pölzl etc.
Martin Lothar le 23 janvier 2008
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