Les trente voies de la Montagne d’Or
21 Mars 2006 , Rédigé par Martin-Lothar Publié dans #Bach & fils
Ça commence comme ça, avec la
main droite sur le clavier : Pim pim pim, pim…
C’est timide, hésitant, incertain.
C’est l’heure du goûter et l’enfant, à la fenêtre de la cuisine regarde en chantonnant le jardin se noyer sous une
puissante giboulée de Mars.
Derrière lui, la grand-mère finit de beurrer une large tartine de pain noble ; elle y étalera
bientôt la confiture de groseilles qui embaume sur la table, non loin du verre de lait chaud fumant.
Elle jette un œil en
souriant sur le gamin qui se tortille d’impatience.
Elle sait bien ce qu’il attend : Il fixe anxieusement à travers le
carreau le petit moulin de bois et de carton qui fut déposé le matin même dans la rigole au pied de la haie de troènes qui orne la cour.
La petite mélodie du clavier poursuit son thème, mais cette fois-ci de façon plus sûre, plus nette : Pim, pim,
pim…
De grosses gouttes frappent le haut de la fenêtre et commencent leur glissade erratique le long des
carreaux.
A la voix aigue de l’enfant se mêle bientôt celle de la grand-mère : Plus grave, plus sourde…
Sur le clavier, la main gauche effleure les touches de basses œuvres s’en mêlent en suivant, en accompagnant, en
ombrant délicatement la jeune fugue qui s’étire :
Pim, pim, pom, pom, pim, pim pim, pom…
Dans la cour, la rigole se remplit bientôt et le flux parvient enfin à l’aube du moulin qui frémit.
La grand-mère dépose la tartine fine prête près de verre de lait et s’approche de la fenêtre car le grand moment arrive !
Alors que les voix chantonnantes de la femme et de l’enfant se mêlent tendrement, la roue du petit moulin commence sa révolution entraînant
inexorablement toute une mécanique fragile et malhabile de rotules, de mandrins, de courroies et d’autres pièces multicolores.
Sur le clavier, le thème reprend une troisième fois, mais cette fois-ci, sans crainte, avec une vigueur indéniable,
une fierté et un entrain irrésistibles.
Les aigus éclatent dans l’air comme des bulles ; les médiums, d’un seul
coeur, leur emboîtent le pas ; puis viennent les basses qui, fermant la marche, balancent avec une précision feutrée la course de la plus belle et la plus universelle vibration harmonique jamais
composée.
La roue du moulin tourne sous la pluie en vibrant d’allégresse ; la grand-mère et l’enfant éclate d’un même rire ravi.
Sur le clavier, la fugue se termine enfin dans la résonance d’un soupir d’archange
La beauté idéale et tant espérée est seulement esquissée…
Il
va falloir attaquer avec ardeur la deuxième voie de la Montagne d’or…
Tel est l’aria des variations Goldberg composées en 1741 par Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
interprétées par le pianiste canadien Glenn Gould (1932-1982)
Cet aria sera décliné en trente variations qui à mon avis
constituent une synthèse sublime de l’art de ce compositeur.
Jean-Sébastien Bach (source Wikipédia)
Serait-il puéril de penser que Bach est à la musique ce que Platon est à la Philosophie ou Thalès, Archimède, voire Einstein
sont aux sciences ?
Il a tout mis en lumière et en ordre et nous offre une transcription musicale, rigoureuse, mécanique,
algébrique ou géométrique de toutes les vibrations et harmonies les plus fondamentales de l’univers.
Cette œuvre doit son
nom à un élève de Bach, Johann Gottlieb Goldberg (Montagne d’or) claveciniste du comte Keyserlingk qui, insomniaque, avait commandé une pièce à ces musiciens pour le distraire la
nuit.
Bach composa alors ces trente variations formant ainsi la quatrième et dernière partie de sa Klavierübung (« exercices
pour clavier »).
Glenn Gould enfant (source Wikipédia)
Le pianiste génial, Glenn Gould, consacra une grande partie de sa vie à étudier les variations et en fit
trois enregistrements où on l’entend chantonner en jouant.
Son jeu est le plus clair et le plus précis qui soit : Il est
analytique, c'est-à-dire tout ce qu’il faut d’intelligence pour une œuvre de synthèse telles ces variations.
Cette œuvre
semblait être pour Gould le pivot de toute la musique occidentale et c’est vrai que dans certaines variations, on sent poindre les Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin ou Liszt ; ce dernier ayant
transcrit pour piano ces variations composées à l’origine pour le clavecin.
Ah j’oubliais : JSB est né le 21 mars 1685, il eut un ancêtre meunier et le mot allemand «
Bach » signifie « ruisseau »
Fin de loup
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 675 Angoisses
- 366 Quantiques du loup
- 305 Divers et d'autres saisons
- 242 Lagans
- 232 Runes
- 192 Bloguerie
- 116 Nature & sciences
- 104 Loups et loups-garous
- 100 Le Dico
- 96 Le manuel de survie
- 82 iCuls & haïkus
- 69 Histoires d'Histoire
- 63 Bestiaire
- 52 Quantisme
- 19 Bach & fils
- 19 Lieux
- 14 Boire & manger
- 13 Dürer
- 13 Épitaphes
- 12 Contes du Labyrinthe
- 11 Nuages
- 9 Europe
- 8 Cioran
- 8 Rabelais
- 7 François Villon
- 7 L'Omekilekon
- 7 Piero di Cosimo
- 7 Spectres
- 6 David
- 6 Jules Verne
- 6 Le Lorrain
- 5 Van Gogh
- 4 Bosch
- 4 Lichtenberg
- 4 Martiens
- 4 Stephen King
- 3 Alexandre Vialatte
- 3 Arthur Rimbaud
- 3 Giono
- 3 Mythologie
- 3 Saint-Exupéry
- 2 Albert Camus
- 2 Baudelaire
- 2 Bonaparte
- 2 Cormac McCarthy
- 2 Courbet
- 2 Descartes
- 2 Friedrich
- 2 Graffitis
- 2 Hugo (Victor)
Archives
Liens