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Martin-Lothar

Rune : quelques grenouilles — Jean de la Fontaine

8 Août 2024 , Rédigé par GJG Publié dans #Runes, #La Fontaine, #Quantisme, #Histoires d'Histoire

Rune : quelques grenouilles — Jean de la Fontaine

J’ai trouvé ça au fond de ma tanière, parmi les feuilles et les ossements :

LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI
(Jean de la Fontaine, Livre III, fable V)


Les grenouilles se lassant
De l’état démocratique
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or c’était un soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir, s’aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant :
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :
Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue !
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir
Et grenouilles de se plaindre,
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
À ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement ;
Mais ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux.
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire.


LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE
QUE LE BŒUF

(Jean de la Fontaine, Livre I, fable III)


Une grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : « Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez ? dites-moi : n'y suis-je point encore ?
— Nenni. — M'y voici donc ? — Point du tout. — M'y voilà ?
— Vous n'en approchez point. » La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs,
Tout petit Prince a des Ambassadeurs,
Tout Marquis veut avoir des Pages.


LA GRENOUILLE ET LE RAT
(Jean de la Fontaine, Livre IV, fable XI)


Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne soi-même.
J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui ;
Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême.
Mais afin d’en venir au dessein que j’ai pris :
Un rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’avent ni le carême,
Sur le bord d’un marais égayait ses esprits.
Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi ; je vous ferai festin.
Messire rat promit soudain :
Il n’était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.
Un point sans plus tenait le galant empêché :
Il nageait quelque peu, mais il fallait de l’aide.
La grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brin de jonc en fit l’affaire.
Dans le marais entrés, notre bonne commère
S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu’elle en fera gorge-chaude et curée ;
C’était, à son avis, un excellent morceau.
Déjà dans son esprit la galande le croque.
Il atteste les dieux ; la perfide s’en moque :
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan, qui dans l’air planait, faisait la ronde,
Voit d’en haut le pauvret se débattant sur l’onde,
Il fond dessus, l’enlève, et, par même moyen,
La grenouille et le lien.
Tout en fut, tant et si bien
Que de cette double proie
L’oiseau se donne au cœur joie,
Ayant, de cette façon,
À souper chair et poisson.
La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.


Jean de La Fontaine (1621-1695)


Note :
Bon d’accord, les grenouilles ne mangent pas de rat comme le corbeau du fromage (ou pas très souvent alors) et que l’on comprenne ou non les morales des fables de notre fabuleux Jeannot national, on ne peut trop souvent s’empêcher de les raccrocher à notre actualité d’aujourd’hui, de maintenant, de naguère voire hélas de demain.
Remplacez la grenouille, Jupiter, le roi, le rat, la cigogne, le bœuf, le milan par qui vous voudrez et la fable n’en sera que plus cocasse et contemporaine.
D’autant plus que La Fontaine en aura piquées beaucoup à des auteurs encore plus antiques que lui, tu meurs.
Comme quoi, la morale de l’ultime fable du dernier des fabulistes « Les Hommes se révoltant contre la Fin du Monde » pourra être sans aucun doute : « Il n’y a jamais rien de nouveau sous le Soleil ».


Retrouvez toutes les fables sur Wikipedia. 


Illustration : Gustave Doré, 1832-1883, la Grenouille et le Bœuf.


Fin de loup

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