« Il avait donné des noms à ses deux pantoufles. »
(Georg Christoph Lichtenberg, 1742-1799, Cahiers)
Note
Ce baptême de pantoufles n'a pour autant rien d'un aphorisme. Il est mentionné comme ça dans ses cahiers par notre drôle de bonhomme entre une réflexion philosophique ou sociale et une démonstration de physique ou d'astronomie. Cela tombe un peu comme un cheveu dans la soupe et le lecteur profane et surpris sourira sans doute d'une telle banalité avant de passer à un autre paragraphe.
Ce sera alors manquer une des facettes de l'esprit de Lichtenberg qui excelle dans ce genre de mise en abime spirituelle, universelle des choses les plus triviales qui soient — comme une paire de chaussons ou une averse printanière.
Son ami Goethe disait en substance que rien n'était anodin chez Lichtenberg et que le moindre de ses traits d'humour résulte de longues et savantes réflexions.
Je retrouve aussi cette sorte d'appréhension de l'univers et de la vie chez d'autres écrivains tels que Cioran et Vialatte, notamment, qui devaient connaitre ce sacré bossu allemand, ce grand enfant de Göttingen (comme chantait Barbara) par chœur et par cœur.
Pour moi, ce sont des philosophes complets tant dans la complexité que la futilité, donc ce sont de parfaits philosophes.
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Donner un nom ou un surnom à un ustensile familier et fidèle serviteur du quotidien ou encore, le remercier en le foutant à la poubelle, ne relève pas de l'infantilisme ou du gâtisme, mais du minimum de respect qu'à travers cet outil, on peut témoigner à son inventeur ou à son artisan et derrière eux, tout le génie de l'humanité, voire de l'humanisme.
Tout ce qui existe et perçu par nous doit être l'objet ou le sujet pour le moins de notre attention, sinon de notre affection ou de notre aversion.
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Le mépris castre l'intelligence.
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Par ailleurs, en ce qui concerne les pantoufles, savates, souliers et autres bottes de la réalité dans la gueule ou le cul, il faut aussi préciser qu’il s’agit de trucs de gauche et de droite, qui vont par paire — sauf pour les unijambistes pour qui ce n’est jamais le pied.
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En ce qui me concerne, j'appelle mon ordinateur « Makinou » et mon ficus benjamina « Marie-Charlotte », même s'ils s'en foutent totalement — ce que je ne saurai jamais d'ailleurs et hélas.
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On t'aime Georg-Christoph ; reste avec nous.
Illustration : Vincent van Gogh, 1853-1890, Une Paire de Chaussures, 1888, huile sur toile, 46 x 55 cm, Metropolitan Museum of Art, New York, USA.
Fin de loup