Troisième conte du Quanta (Le Schprountz)
Je réédite aujourd'hui ce troisième conte du Quanta, publié il y a quelques jours, en primeur, pour mes valeureux abonnés et pour les lecteurs de Frivoli (en lien à droite, pub) à l'occasion du cinquième anniversaire de ce loftblogue.
Pour icelles et iceux qui ne
connaissent pas mes contes du Quanta, je précise qu'il s'agit de nouvelles où le bizarre se dispute avec le hasard, entre autres trucs mystérieux, voire quantiques.
Ce sont des textes intéressants (ou pas) qu'il convient de lire calmement, en les sirotant et surtout, en se gardant de commencer par la fin où apparaît (peut-être) la clé, la révélation de
l'histoire : Sachez jouir de votre plaisir de lire.
Le hasard sait toujours trouver ceux qui savent s'en servir. (Romain Rolland, Jean-Christophe)
Elle : « Allo ? »
Lui : « Allo ? »
Elle : « Que désirez-vous, Monsieur ? »
Lui : « Rien Madame, c’est à vous que je le demande »
Elle : « Mais je ne désire rien, jeune homme, le téléphone a sonné ; j’ai décroché ; vous m’avez dérangée dans mes mots croisés, alors, expliquez-vous ! »
Lui : « Moi, pareil, madame, sauf que je ne faisais pas de mots croisés »
Elle : « Quoi ? Ce n’est pas vous qui m’avez appelée ? »
Lui : « Non Madame, ça devait être deux autres alors... »
Elle : « Hi ! Hi ! J’adore ce genre d’humour »
Lui : « Plus sérieusement, par ce temps d’orage très magnétique, il y a sans doute eu du schprountz dans les tuyaux »
Elle : « Du quoi ? »
Lui : « Du schprountz, de la panique, du dérangement. Vous savez l’électronique d’aujourd’hui comme celle d’hier est très sensible à l’électricité qu’elle soit climatique ou
pas »
Elle : « Si vous le dites jeune homme, je vous crois sur parole »
Lui : « Bon, je raccroche, excusez-moi de vous avoir dérangée »
Elle : « Mais vous n’avez pas à vous excuser jeune homme, puisque c’est votre schprountz et ses deux autres compères qui nous ont appelés »
Lui : « Hi ! Hi ! »
Elle : « Mais dites-moi jeune homme, le timbre de votre voix me rappelle celui de quelqu’un que j’ai beaucoup aimé quand j’étais jeune. »
Lui : « Ah ? »
Elle : « Oui, vous avez la voix de mon premier amant, c’est extraordinaire cette ressemblance et pour tout vous dire, je suis musicienne ; j’ai été professeur de musique et de chant ;
j’ai l’oreille absolue et même à soixante-ans, je ne mélange pas les vibrations. »
Lui : « Ah ? Mais dites-moi, comment se nommait ce premier amant »
Elle : « Albert Martin »
Lui : « Martin ? »
Elle : « Oui, Albert Martin. Nous nous sommes rencontrés au conservatoire de Paris en 1980. Il avait vingt ans comme moi et il apprenait le trombone. C’était un beau gars, je vous le
dis et très sympathique. J’en suis tombée amoureuse en une heure après une répétition d’un air de la Traviata »
Lui : « Le trombone ? »
Elle : « Oui, oui, le trombone. Nous nous sommes mis ensemble deux mois après et nous avons vécu gonflés de musique et de bonheur pendant cinq ans »
Lui : « Et alors ? »
Elle : « Un jour, il m’a demandé de lui faire un enfant, mais personnellement, je n’y tenais pas trop »
Lui : « Et alors ? »
Elle : « Ben, il me l’a fait... Mais je dois vous barber avec mes histoires »
Lui : « Non, non, continuez, je vous en prie, Madame »
Elle : « Ça s’est très mal passé alors, mais en fait ce n’était ni de sa faute, ni de la mienne, nous n’étions pas mariés et il y a eu du schprountz comme vous dites, dans ma
belle-famille »
Lui : « Et alors ? »
Elle : « Le temps de nos amours s’est gâté. Un gros orage magnétique comme aujourd’hui, vous voyez ? »
Lui : « Vous vous êtes séparés ? »
Elle : « Oui, au bout d’un an, juste après mon accouchement. Ma belle-famille était très puissante et me détestait en diable et j’ai été obligé de tout abandonner : mon amant, mon
fils, mon travail, mon pays »
Lui : « Votre fils, votre pays ? »
Elle : « Oui, dégoûtée de tout ça, je suis partie à la sauvette en Amérique latine, au Guatemala, un rêve de jeunesse en fait. »
Lui : « Au Guatemala... »
Elle : « Quand j’y suis arrivée, je n’avais pas de papiers et plus un sou, mais j’ai rencontré très vite mon second amant qui était élève à des cours de tango que je donnais pour gagner
ma vie »
Lui : « Des cours de tango ! »
Elle : « Oui, oui, jeune homme, il faut bien vivre hein ! Et pour tout vous dire encore, mon second amant était un homme extraordinaire, cultivé, bien élevé, drôle, prévenant,
sympathique, influent et très riche, pour ne rien gâter. Nous nous sommes tant aimés, vous ne pouvez pas savoir »
Lui : « Si je comprends bien, il est mort... »
Elle : « Oui, hélas, tué par une balle de golf »
Lui : « Une balle de golf ? »
Elle : « Je sais bien que c’est une mort stupide, surtout pour un tel homme, mais il était golfeur et un matin, au départ d’un dix-huit trous, pan ! Il se prend une balle de golf tirée
par un novice pétardé. En pleine tête. Paf ! Mort sur le coup, sous mes yeux. »
Lui : « Remarquez, c’est une belle mort pour un golfeur »
Elle : « Hi ! Hi ! Hi ! »
Lui : « Mais vous m’appelez du Guatemala, là ? »
Elle : « Que non, jeune homme, je vous rappelle que je ne vous ai jamais appelé et que vous-même avez dit que c’était le Grand Schprountz qui nous avait branchés pour faire parler deux
autres ! »
Lui : « Hi ! Hi ! Hi ! »
Elle : « Je vis à Paris maintenant, depuis un an. Après avoir enterré mon amour de golfeur, j’ai eu bien vite le mal du pays et je suis revenu en France et avec son héritage, j’ai
acheté un bel appartement dans le quinzième pour y finir mes jours »
Lui : « Dans le quinzième ! Mais où ça »
Elle : « Rue Saint-Charles, au numéro 115 »
Lui : « Rue Saint-Charles ! Ah ! Je comprends, nous devons avoir le même commutateur alors »
Elle : « Hein ! Quoi ? Le même commutateur ? Restez poli jeune homme s’il vous plait ! »
Lui : « Mais non, Madame, je veux dire le même commutateur téléphonique qui s’est pris un schprountz magnétique ou quantique dans les dents. Pour tout vous dire aussi, j’habite au 116
rue Saint-Charles, l’immeuble juste en face du vôtre »
Elle : « À quel étage ? »
Lui : « Le quatrième, un studio qui donne sur la rue »
Elle : « Ah mon dieu ! Mais vous êtes le beau jeune homme d’en face alors ! »
Lui : « Et vous êtes la vieille dame d’en face alors ? »
Elle : « Pas si vieille que ça quand même non plus hein ! Coucou, je vous aperçois là ! Vous avez enfin abandonné ce foutu pull bleu ! »
Lui : « Je l’aimais bien ce pull, mais il était trop élimé et plein de trous, vous savez »
Elle : « Oui, je sais, cela fait au moins six mois que je me le dis ! »
Lui : « Je vous vois aussi. Coucou ! Nous nous croisons souvent chez le boulanger »
Elle : « Et à la maison de la presse aussi »
Lui : « Je ne connais pas votre nom »
Elle : « Je ne connais pas le vôtre non plus remarquez. Je me nomme Jeanne Guillaume ; c’est mon nom de jeune fille en fait »
Lui : « ... »
Elle : « Allo ! »
Lui : « Maman, ça fait des années que je te cherche, des années que je t’attends... Je me nomme Alexis Martin, fils d’Albert Martin, tromboniste et de Jeanne Guillaume, professeur de
chant »
Elle : « Mon dieu ! Mon petit ! »
Lui : « Tu sais Maman, quelques mois après ton départ, papa, Albert Martin, ton premier concubin quoi, a organisé un voyage en Islande avec toute sa famille, dont moi, un an aux
fraises ! L’avion s’est craché à l'atterrissage... Tous morts, sauf moi... Sauf moi, rapatrié en France, orphelin jusqu’aux dents. J’ai erré de DASS en famille de bon ou mauvais accueil,
d’orphelinat en camp social. J’ai fait de bonnes études pourtant et grosso modo, je ne m’en suis pas mal tiré »
Elle : « Mon dieu ! Mon petit ! »
Lui : « Voilà Maman, à ma majorité, j’ai remué ciel et terre pour te retrouver, mais en vain. Enfin, j’ai abandonné. Il faut bien vivre hein »
Elle : « Décidément, ton grand Schprountz quantique truc a bien fait les choses et finalement, les deux autres, c’est bien nous »
Lui : « Maman, je descends et je monte pour t’embrasser »
Elle : « Viens dîner, mon petit, j’ai fait un gratin de salsifis »
Lui : « Maman, je déteste les salsifis »
Elle : « Ça commence bien... »
Lui : « Aujourd’hui, c’est mercredi, je viens avec une boite de raviolis »
Elle : « Non, mon petit, aujourd’hui, c’est ton anniversaire, je t’invite au restaurant »
Lui : « Quoi Maman, tu te souviens de la date de mon anniversaire ? »
Elle : « Tu sais mon petit, les femmes ont bien des travers et des défauts, mais elles n’oublient jamais ce genre de chose »
Lui : « J’arrive »
Elle : « Prends un pull »
Lui : « Mais Maman, il fait 29 degrés à l’ombre, là »
Elle : « Oui mon petit, mais après l’orage, ça peut se rafraîchir »
Lui : « Ça commence bien »
Elle : « Je t’attends »
Lui : « Eh Maman ! »
Elle : « Oui mon petit ? »
Lui : « Je crois que je t’aime déjà »
Elle : « Prends un pull quand même, mon chéri »
Fin de loup