Les runes du loup-garou, fragments n° 97 — Les enfants de Septembre
J’ai trouvé ça au fond de ma tanière parmi les feuilles et les ossements :
Les enfants de Septembre
Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, gonflés de pluies et silencieux ;
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d’autres cieux,
Par grands voiliers, et très haut dans l’espace.
J’avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu’ils avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
Et cet appel inconsolé de sauvagine
Triste, sur le marais que les oiseaux ont fuis.
Après avoir surpris le dégel de ma chambre,
À l’aube, je gagnai la lisière des bois ;
Par une bonne lune de brouillard et d’ambre,
Je relevai la trace, incertaine parfois,
Sur le bord d’un layon, d’un enfant de Septembre.
Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
Ils se croisaient d’abord au milieu des ornières
Où dans l’ombre, tranquille, il avait essayé
De boire, pour reprendre ses jeux solitaires
Très tard, après le long crépuscule mouillé.
Et puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
Où son pied ne marquait à peine sur le sol ;
Je me suis dit : il va s’en retourner peut-être
À l’aube, pour chercher ses compagnons de vol,
En tremblant de la peur qu’ils aient pu disparaître.
Il va certainement venir dans ces parages
À la demi-clarté qui monte à l’orient,
Avec les grandes bandes d’oiseaux de passage,
Et les cerfs inquiets qui cherchaient dans le vent
L’heure d’abandonner le calme des gagnages.
Le jour glacial s’était levé sur le marais ;
Je restais accroupi dans l’attente illusoire,
Regardant défiler la faune qui rentrait
Dans l’ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
Et les corbeaux criards aux cimes des forêts.
Et le me dis : je suis un enfant de Septembre,
Moi-même, par le cœur, la fièvre et l’esprit,
Et la brûlante volupté de tous mes membres,
Et le désir que j’ai de courir dans la nuit
Sauvage, ayant quitté l’étouffement des chambres.
Il va certainement me traiter comme un frère,
Peut-être me donner un nom parmi les siens ;
Mes yeux le combleraient d’amicales lumières
S’il ne prenait pas peur, en me voyant soudain
Les bras ouverts courir vers lui dans la clairière.
Farouche, il s’enfuira comme un oiseau blessé,
Je le suivrai jusqu’à ce qu’il demande grâce,
Jusqu’à ce qu’il s’arrête en plein ciel épuisé,
Traqué jusqu’à la mort, vaincu, les ailes basses
Et les yeux résignés à mourir, abaissés.
Alors, je le prendrai dans mes bras, endormi,
Je le caresserai sur la pente des ailes,
Et je ramènerai son petit corps, parmi
Les roseaux, rêvant à des choses irréelles,
Réchauffé tout le temps par mon sourire ami...
Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
Et le vent commençait à remonter au Nord,
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui vont par d’autres voies en de mêmes espaces !
Et je me suis dit : ce n’est pas dans ces pauvres landes
Que les enfants de Septembre vont s’arrêter ;
Un seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait-il, en un soir, compris l’atrocité
De ces marais déserts et privés de légende ?
Patrice de La Tour du Pin (1911-1975) Les enfants de Septembre, la Quête de joie (1939)
Note du loup
Ce poème (dédié à Jules Supervielle) est pour moi un des plus « beaux » qui n’aient jamais été composés sur notre
patate de planète, na !
Beau déjà par la pureté de notre belle langue françoise, par la maîtrise de l’alexandrin (ils ne s’entendent pas) par son rythme
savant, par la riche simplicité du vocabulaire et à tous ces égards, il reste un des derniers grands poèmes « classiques » par sa composition (publié en 1939)
Un texte sublime aussi sur le fond, par sa signification, car contrairement à ce qu’on pourrait croire d’une première lecture,
ce n’est pas une ode bucolique ; ce n’est pas un chant d’amour aux petits oiseaux des marais ou des hôtes de ces bois ; ce n‘est pas une histoire de chasse ni une pièce symbolique ; c’est un
psaume, un cantique, c’est un poème mystique du plus pur jus d’âme adolescente, immanente et de foi acnéenne.
C’est un jeune essai d’alchimie spirituelle, mais c’est aussi un échec cuisant.
Le Patrice s’en sort bredouille.
Si Patrice de La Tour du Pin fut plus « catho » tu meurs excommunié, crucifié, toute son œuvre n’est qu’une recherche
spirituelle aussi puissante, aussi vibrante et inlassable que celles menées par des Valéry, des Rimbaud, des Apollinaire, des Saint-John Perse voire des Baudelaire.
Parce que ces gens-là par des chemins et des allures très différentes souvent inverses, cherchaient tous ces « enfants
sauvages » qu’ils ont traqués parfois jusqu’à en perdre l’haleine, l’esprit et l’âme.
Qui sont ces enfants de Septembre ? Sont-ils anges ou bêtes ? Où gîtent-ils ? Que veulent-ils ?
Allons savoir, mais de toute façon, ils sont légendaires, je vous le dis.
Et ceux qui savent, se garderont bien de révéler ce secret qui n’appartient qu’à eux, in fine et in petto, ah, mais !
Illustration : Martin Lothar (toujours né) étang avec pont, marais des Cavins en Picardie, Photo numérique (août 2010)
Musée du Loup, Tanière sur Seine, Europe.
Fin de loup