Premier conte du Quanta
Après mes contes des Spectres (il en reste deux à écrire hein !) voici incontinent, le premier des mes
contes du Quanta.
Nouveau thème, nouveau style, mais même principe : Ne vous précipitez pas sur la fin !
Bonne lecture.
Personne ne rend à sa génération un service plus grand que celui qui, soit par son art, soit par son existence, lui apporte le don d'une certitude. (James Joyce, Le nouveau drame d'Ibsen)
Le téléphone sonne. C’est l’infirmière de garde qui m’informe que Claire a perdu les eaux et que l’accouchement est prévu dans cette première heure de la nuit.
C’est le genre de nouvelle à faire sortir de son lit l’homme le plus paresseux de la Terre et à le faire sauter dans son slip d’un même bond.
Je vais être papa !
Je m’habille nerveux comme le roi Dagobert ; je cours comme un fou jusqu’au bout de l’avenue où vibre la clinique.
J’entre en fusée dans le hall ; l’ascenseur trop loin, trop long ; j’avale l’escalier quatre à quatre et dans le couloir en pénombre éthérée ; je pile sur un dame blanche qui éclate de rire et qui s’écrie : « Déjà ! »
Elle est une fée qui me dit que l’événement est prévu dans un quart d’heure, le temps de préparer la « crèche »
« Quoi ! Il n’est pas encore né ? »
Il vient ; il arrive mon divin enfant, ma vie, mon amour !
Elle m’invite à aller reprendre mon souffle en attendant, dans le petit jardin en atrium, là-bas.
J’y vais penaud ; je m’assoie sur un banc ; je respire ; je me calme ; je lève la tête et au zénith, je vois briller une grosse étoile belle comme l’espérance. Véga ? Acturus ? Marilyn C3574 ? Que sais-je et je m’en fous : Je vais être enfin papa !
Je me calme alors ; je me calme enfin et je me souviens ; oui, je me souviens…
Mon père est mort alors que je n’avais pas cinq ans. Je n’en ai aucun souvenir, mais il m’a toujours manqué et il me manque encore et aujourd’hui surtout, à quelque minute de « l’avènement »
Je l’adore, mais je ne le connais qu’à travers de mauvaises photos, des vidéos ratées, quelques mots de ma mère.
Mon père est mort, mais je l’aime. Une petite entreprise, une mauvaise « conjecture »
Pas de chance, trop de dettes. Plus de crédit. Déprime. Suicide.
Ma mère ne lui a jamais pardonné cette fuite, cette faiblesse, cette erreur.
Elle m’a empoigné à la sortie du cimetière et elle ne ma lâché que le jour de mes dix-huit ans pour se plonger ensuite dans un silence de folle exténuée jusqu’à sa mort.
Pour compenser cette froideur maternelle, j’ai fait le culte de mon père, cet inconnu.
Son anniversaire est en juin, le 24, comme moi ; le 24 juin comme aujourd’hui !
Je regarde l’étoile ; je soupire et je me souviens :
Je me souviens de ce jour de juin de mes onze ans, l’anniversaire de mon père, le mien aussi et celui de mon futur fils Thomas.
A l’école, pour la fête des pères, la maîtresse nous avait demandé de composer un poème pour notre papa.
Je l’ai fait : Un sonnet bringuebalant, dissonant avec des vers de marmiton, écrit en tirant la langue, soupirant et en pleurant aussi.
C’était mignon, tendre, viril et pathétique.
C’était trop beau, grave…
Ce dimanche matin de nos anniversaires, Maman était partie aux courses ; j’ai mis le répondeur du téléphone en mode « on » et je suis descendu au square d’en face.
Dans la cabine téléphonique, j’ai composé notre numéro.
J’ai attendu la fin de l’annonce et d’une seule fois, malgré mes sanglots et mon excitation, j’ai dit « mon message » à mon Papa.
Ça commence comme ça : « Allo papa. C’est Nicolas. Pour ton anniversaire, je voudrais te dire un poème que j’ai fait… A toi mon petit Papa… »
J’ai raccroché ; je suis remonté chez nous et j’ai écouté mon message sur le répondeur : Une fois, deux fois, trois fois. Dix fois !
J’ai enfin retiré la cassette à bande magnétique et je l’ai remplacée par une neuve.
Je suis allé dans ma chambre et j’ai mis la cassette dans mon coffre de pirate avec le poème et quelques larmes.
Bon anniversaire Papa !
L’infirmière m’appelle. Le spectacle commence !
J’entre dans la salle d’opération blousé et masqué à la hâte dans une hystérie pas possible.
Claire est en position sur le billard. Elle est inquiète ; elle a peur, mais elle sourit, comme toujours.
Elle chantonne même comme souvent.
Elle a peur d’avoir mal et moi j’ai peur qu’elle ait mal.
Contraction 1 ; respirez ; poussez et puis tout se passe très vite.
Trop vite !
Je n’ai pas le temps de réaliser ; je n’ai pas le temps de comprendre ; je n’ai pas le temps de savourer ce trop grand moment !
En moins d’une minute, mon fils Thomas se transplane de son œuf paradisiaque à notre monde de vide et de douleurs. Comme un pet de lapin sur une toile cirée !
Le médecin rigole : « Il est bien pressé de payer des impôts celui-là hein ! »
L’infirmière éclate de rire. Claire aussi.
Elle dit : « Même pas mal » et mon Thomas se met à hurler !
Nous sommes le 24 juin ; il est exactement 1H 56 du matin et moi, je suis pétrifié tout autant que je suis papa.
Je regarde cette petite chose grouillante, stridente, ce misérable kilo de chair difforme et nauséabonde. Je regarde mon fils Thomas.
Je suis pétrifié et je me dis sans doute que les dieux sont vraiment les plus grands artistes de l’Univers, les plus grands magiciens de la Galaxie pour faire qu’un être aussi jeune, aussi frais, aussi laid, aussi puant, soit désormais le fait le plus superbe, l’œuvre la plus parfaite, la vibration la plus idéale de la création…
Enfin je bouge. J’embrasse Claire qui rigole en baillant ; j’embrasse Thomas qui gueule et dégueule tout ce qu’il peut.
Je suis heureux ; je suis ivre de bonheur ; je suis fou de joie !
Je rentre chez nous à trois heures du matin. Je me sers un verre de pur malt et je m’étends sur le divan en rêvant.
Je ris ; je chante ; je pète ; je rote et je me ressers un verre ; ce n’est pas tous les jours non plus hein !
Je rêve à mon fils comme à mon père et je bois à la santé de Claire.
Bientôt, je me dois d’alerter la terre entière de mon bonheur et je rallume mon téléphone mobile.
Je me dis aussitôt que tous mes copains dorment profonds et que l’amitié de nos jours est trop fragile pour les prévenir si tôt de tant de « fiesta »
Le téléphone fait un « bip » : Un SMS me prévient qu’il y a un message vocal pour moi sur le serveur.
Je remarque tout de suite que ce message a été reçu, le 24 juin à 1H 56, c’est-à-dire au moment précis de la naissance de Thomas…
La suite est incroyable, impossible, hallucinante !
Il y a d’abord la voix robotique de l’hôtesse du serveur : « Vous avez un nouveau message, reçu le 24 juin 2009 à 1H 56… »
Et puis il y a quelques « scratchs » un bourdonnement, un sifflement enfin et puis :
« Allo Papa. C’est Nicolas. Pour ton anniversaire, je voudrais te dire un poème que j’ai fait… A toi mon petit Papa… »
C’est la voix d’un petit garçon qui ânonne mon poème — mon poème à moi écrit pour mon Papa — mon poème écrit il y a plus de 20 ans. Texto. C’est la voix d’un petit garçon qui ânonne mon poème : Pas un mot, pas une virgule ou un point de plus ou de moins !
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
J’écoute plus de dix fois ce message et finalement, je me crois trop saoul, trop fatigué, trop heureux, trop comblé pour accepter ce mystère alors, je m’endors…
Il est midi, ce 24 juin quand je rappelle le serveur : Même message, même stupeur.
Je fonce sur mon ordinateur ; je me connecte au site du fournisseur ; je retrouve le message et je l’enregistre sur le disque dur.
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
Je pense à un canular ; je soupçonne une blague d’un de mes chers copains !
Si c’est évidemment la voix d’un petit garçon de quelque onze ans (la tonalité, la respiration et les attaques des mots ne trompent pas à cet égard) pour autant ce n’est pas « la mienne que j’avais à cet âge »
A onze ans j’avais, comme j’ai toujours, un accent bien Marseillais. Du Sud-Est, de la Provence peuchère !
La voix du message a un accent parigot bien marqué, Titi parisien et un rien banlieusard 9-3 par dessus le marché aux puces.
Mais c’est bien — à la lettre — le message que j’avais envoyé « virtuellement » à mon père vingt ans auparavant.
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
Jamais je n’ai parlé à quiconque de mon message à mon père. Même pas à Claire, c’est vous dire.
Quand j’ai quitté ma mère à dix-huit ans, je me souviens encore avoir vidé en souriant mon coffre de pirate dans un carton lambda qui est allé croupir de fond de cave en fond de cave, depuis et à jamais !
Je n’ai parlé à personne de mon message à mon père. C’est incroyable, irréel, hallucinant ; ce n’est pas possible !
Ce 24 juin à quatre heures de l’après-midi, je suis dans la cave à chercher ce maudit carton.
J’en déplace un, puis un autre et un troisième encore et la poussière de lustre et de lustre me rassure un peu sur le secret gardé de mon message.
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
Je le retrouve enfin : Il n’a pas bougé. Il n’a jamais été ouvert et ses trésors de cassettes et de poème sont dedans, intacts, inviolés !
Trois jours plus tard, Claire revient et je lui raconte tout de A à Z en passant par le carton et la cave.
Elle m’écoute en souriant ; elle fait la moue ; elle rigole ; elle pleure un peu à l’écoute du message. Elle fait la moue de nouveau puis elle me dit : « Finalement, cette histoire, c’est ton problème. Je te laisse parce que bébé pleure. J’y vais »
Elle est déjà partie quand je lui réponds : « Oui, je sais bien, c’est mon impossible problème ; c’est mon père ; c’est mon poème ; bébé pleure. Allons-y »
Onze ans plus tard, un vingt trois juin, je prépare nos anniversaires…
Je me souviens alors du message de la naissance de Thomas. Je le recherche partout pendant des heures sur tous les supports possibles et imaginables. Je jure ; je peste ; je crie ; je hurle et finalement je le retrouve là, perdu dans une zone de la toile.
J’appuie sur le bouton de Quicktime et j’écoute :
« Allo Papa. C’est Nicolas. Pour ton anniversaire, je voudrais te dire un poème que j’ai fait… A toi mon petit Papa… »
Thomas déboule alors pour me dire bonsoir ; il entend ; il écoute ; il me regarde et me dit : « Mais c’est ma voix ça, Papa ! Je ne connais pas ce poème ; je ne l’ai jamais dit ; comment tu as fait ça hein ! »
Oui c’est ta voix Thomas, il n’y a aucun doute et c’est mon poème en plus et ce soir, je me demande de quelle couleur est la cabine téléphonique que ta mère a dans le ventre.
Illustration : Salvador Dali, Jean de la Croix.
Martin-Lothar, le 31 janvier 2009.
Fin de loup
Nouveau thème, nouveau style, mais même principe : Ne vous précipitez pas sur la fin !
Bonne lecture.
Premier conte du Quanta
Personne ne rend à sa génération un service plus grand que celui qui, soit par son art, soit par son existence, lui apporte le don d'une certitude. (James Joyce, Le nouveau drame d'Ibsen)
Le téléphone sonne. C’est l’infirmière de garde qui m’informe que Claire a perdu les eaux et que l’accouchement est prévu dans cette première heure de la nuit.
C’est le genre de nouvelle à faire sortir de son lit l’homme le plus paresseux de la Terre et à le faire sauter dans son slip d’un même bond.
Je vais être papa !
Je m’habille nerveux comme le roi Dagobert ; je cours comme un fou jusqu’au bout de l’avenue où vibre la clinique.
J’entre en fusée dans le hall ; l’ascenseur trop loin, trop long ; j’avale l’escalier quatre à quatre et dans le couloir en pénombre éthérée ; je pile sur un dame blanche qui éclate de rire et qui s’écrie : « Déjà ! »
Elle est une fée qui me dit que l’événement est prévu dans un quart d’heure, le temps de préparer la « crèche »
« Quoi ! Il n’est pas encore né ? »
Il vient ; il arrive mon divin enfant, ma vie, mon amour !
Elle m’invite à aller reprendre mon souffle en attendant, dans le petit jardin en atrium, là-bas.
J’y vais penaud ; je m’assoie sur un banc ; je respire ; je me calme ; je lève la tête et au zénith, je vois briller une grosse étoile belle comme l’espérance. Véga ? Acturus ? Marilyn C3574 ? Que sais-je et je m’en fous : Je vais être enfin papa !
Je me calme alors ; je me calme enfin et je me souviens ; oui, je me souviens…
Mon père est mort alors que je n’avais pas cinq ans. Je n’en ai aucun souvenir, mais il m’a toujours manqué et il me manque encore et aujourd’hui surtout, à quelque minute de « l’avènement »
Je l’adore, mais je ne le connais qu’à travers de mauvaises photos, des vidéos ratées, quelques mots de ma mère.
Mon père est mort, mais je l’aime. Une petite entreprise, une mauvaise « conjecture »
Pas de chance, trop de dettes. Plus de crédit. Déprime. Suicide.
Ma mère ne lui a jamais pardonné cette fuite, cette faiblesse, cette erreur.
Elle m’a empoigné à la sortie du cimetière et elle ne ma lâché que le jour de mes dix-huit ans pour se plonger ensuite dans un silence de folle exténuée jusqu’à sa mort.
Pour compenser cette froideur maternelle, j’ai fait le culte de mon père, cet inconnu.
Son anniversaire est en juin, le 24, comme moi ; le 24 juin comme aujourd’hui !
Je regarde l’étoile ; je soupire et je me souviens :
Je me souviens de ce jour de juin de mes onze ans, l’anniversaire de mon père, le mien aussi et celui de mon futur fils Thomas.
A l’école, pour la fête des pères, la maîtresse nous avait demandé de composer un poème pour notre papa.
Je l’ai fait : Un sonnet bringuebalant, dissonant avec des vers de marmiton, écrit en tirant la langue, soupirant et en pleurant aussi.
C’était mignon, tendre, viril et pathétique.
C’était trop beau, grave…
Ce dimanche matin de nos anniversaires, Maman était partie aux courses ; j’ai mis le répondeur du téléphone en mode « on » et je suis descendu au square d’en face.
Dans la cabine téléphonique, j’ai composé notre numéro.
J’ai attendu la fin de l’annonce et d’une seule fois, malgré mes sanglots et mon excitation, j’ai dit « mon message » à mon Papa.
Ça commence comme ça : « Allo papa. C’est Nicolas. Pour ton anniversaire, je voudrais te dire un poème que j’ai fait… A toi mon petit Papa… »
J’ai raccroché ; je suis remonté chez nous et j’ai écouté mon message sur le répondeur : Une fois, deux fois, trois fois. Dix fois !
J’ai enfin retiré la cassette à bande magnétique et je l’ai remplacée par une neuve.
Je suis allé dans ma chambre et j’ai mis la cassette dans mon coffre de pirate avec le poème et quelques larmes.
Bon anniversaire Papa !
L’infirmière m’appelle. Le spectacle commence !
J’entre dans la salle d’opération blousé et masqué à la hâte dans une hystérie pas possible.
Claire est en position sur le billard. Elle est inquiète ; elle a peur, mais elle sourit, comme toujours.
Elle chantonne même comme souvent.
Elle a peur d’avoir mal et moi j’ai peur qu’elle ait mal.
Contraction 1 ; respirez ; poussez et puis tout se passe très vite.
Trop vite !
Je n’ai pas le temps de réaliser ; je n’ai pas le temps de comprendre ; je n’ai pas le temps de savourer ce trop grand moment !
En moins d’une minute, mon fils Thomas se transplane de son œuf paradisiaque à notre monde de vide et de douleurs. Comme un pet de lapin sur une toile cirée !
Le médecin rigole : « Il est bien pressé de payer des impôts celui-là hein ! »
L’infirmière éclate de rire. Claire aussi.
Elle dit : « Même pas mal » et mon Thomas se met à hurler !
Nous sommes le 24 juin ; il est exactement 1H 56 du matin et moi, je suis pétrifié tout autant que je suis papa.
Je regarde cette petite chose grouillante, stridente, ce misérable kilo de chair difforme et nauséabonde. Je regarde mon fils Thomas.
Je suis pétrifié et je me dis sans doute que les dieux sont vraiment les plus grands artistes de l’Univers, les plus grands magiciens de la Galaxie pour faire qu’un être aussi jeune, aussi frais, aussi laid, aussi puant, soit désormais le fait le plus superbe, l’œuvre la plus parfaite, la vibration la plus idéale de la création…
Enfin je bouge. J’embrasse Claire qui rigole en baillant ; j’embrasse Thomas qui gueule et dégueule tout ce qu’il peut.
Je suis heureux ; je suis ivre de bonheur ; je suis fou de joie !
Je rentre chez nous à trois heures du matin. Je me sers un verre de pur malt et je m’étends sur le divan en rêvant.
Je ris ; je chante ; je pète ; je rote et je me ressers un verre ; ce n’est pas tous les jours non plus hein !
Je rêve à mon fils comme à mon père et je bois à la santé de Claire.
Bientôt, je me dois d’alerter la terre entière de mon bonheur et je rallume mon téléphone mobile.
Je me dis aussitôt que tous mes copains dorment profonds et que l’amitié de nos jours est trop fragile pour les prévenir si tôt de tant de « fiesta »
Le téléphone fait un « bip » : Un SMS me prévient qu’il y a un message vocal pour moi sur le serveur.
Je remarque tout de suite que ce message a été reçu, le 24 juin à 1H 56, c’est-à-dire au moment précis de la naissance de Thomas…
La suite est incroyable, impossible, hallucinante !
Il y a d’abord la voix robotique de l’hôtesse du serveur : « Vous avez un nouveau message, reçu le 24 juin 2009 à 1H 56… »
Et puis il y a quelques « scratchs » un bourdonnement, un sifflement enfin et puis :
« Allo Papa. C’est Nicolas. Pour ton anniversaire, je voudrais te dire un poème que j’ai fait… A toi mon petit Papa… »
C’est la voix d’un petit garçon qui ânonne mon poème — mon poème à moi écrit pour mon Papa — mon poème écrit il y a plus de 20 ans. Texto. C’est la voix d’un petit garçon qui ânonne mon poème : Pas un mot, pas une virgule ou un point de plus ou de moins !
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
J’écoute plus de dix fois ce message et finalement, je me crois trop saoul, trop fatigué, trop heureux, trop comblé pour accepter ce mystère alors, je m’endors…
Il est midi, ce 24 juin quand je rappelle le serveur : Même message, même stupeur.
Je fonce sur mon ordinateur ; je me connecte au site du fournisseur ; je retrouve le message et je l’enregistre sur le disque dur.
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
Je pense à un canular ; je soupçonne une blague d’un de mes chers copains !
Si c’est évidemment la voix d’un petit garçon de quelque onze ans (la tonalité, la respiration et les attaques des mots ne trompent pas à cet égard) pour autant ce n’est pas « la mienne que j’avais à cet âge »
A onze ans j’avais, comme j’ai toujours, un accent bien Marseillais. Du Sud-Est, de la Provence peuchère !
La voix du message a un accent parigot bien marqué, Titi parisien et un rien banlieusard 9-3 par dessus le marché aux puces.
Mais c’est bien — à la lettre — le message que j’avais envoyé « virtuellement » à mon père vingt ans auparavant.
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
Jamais je n’ai parlé à quiconque de mon message à mon père. Même pas à Claire, c’est vous dire.
Quand j’ai quitté ma mère à dix-huit ans, je me souviens encore avoir vidé en souriant mon coffre de pirate dans un carton lambda qui est allé croupir de fond de cave en fond de cave, depuis et à jamais !
Je n’ai parlé à personne de mon message à mon père. C’est incroyable, irréel, hallucinant ; ce n’est pas possible !
Ce 24 juin à quatre heures de l’après-midi, je suis dans la cave à chercher ce maudit carton.
J’en déplace un, puis un autre et un troisième encore et la poussière de lustre et de lustre me rassure un peu sur le secret gardé de mon message.
C’est incroyable, impossible, hallucinant !
Je le retrouve enfin : Il n’a pas bougé. Il n’a jamais été ouvert et ses trésors de cassettes et de poème sont dedans, intacts, inviolés !
Trois jours plus tard, Claire revient et je lui raconte tout de A à Z en passant par le carton et la cave.
Elle m’écoute en souriant ; elle fait la moue ; elle rigole ; elle pleure un peu à l’écoute du message. Elle fait la moue de nouveau puis elle me dit : « Finalement, cette histoire, c’est ton problème. Je te laisse parce que bébé pleure. J’y vais »
Elle est déjà partie quand je lui réponds : « Oui, je sais bien, c’est mon impossible problème ; c’est mon père ; c’est mon poème ; bébé pleure. Allons-y »
Onze ans plus tard, un vingt trois juin, je prépare nos anniversaires…
Je me souviens alors du message de la naissance de Thomas. Je le recherche partout pendant des heures sur tous les supports possibles et imaginables. Je jure ; je peste ; je crie ; je hurle et finalement je le retrouve là, perdu dans une zone de la toile.
J’appuie sur le bouton de Quicktime et j’écoute :
« Allo Papa. C’est Nicolas. Pour ton anniversaire, je voudrais te dire un poème que j’ai fait… A toi mon petit Papa… »
Thomas déboule alors pour me dire bonsoir ; il entend ; il écoute ; il me regarde et me dit : « Mais c’est ma voix ça, Papa ! Je ne connais pas ce poème ; je ne l’ai jamais dit ; comment tu as fait ça hein ! »
Oui c’est ta voix Thomas, il n’y a aucun doute et c’est mon poème en plus et ce soir, je me demande de quelle couleur est la cabine téléphonique que ta mère a dans le ventre.
Illustration : Salvador Dali, Jean de la Croix.
Martin-Lothar, le 31 janvier 2009.
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