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Un Manuel de Survie

L’enfance des moissons (2/3)

20 Août 2005 Publié dans #Runes

Classé dans la série : « D'un labyrinthe »

Lassé d’appeler son chien perdu un temps à poursuivre l’immangeable, le garçon inspectera l’étendue des champs à la recherche d’une meule de paille.
Il trouvera son idéal dans une de ces constructions éphémères placées non loin d’une remise.
Les remises sont ces petits-bois souvent oblongs qui parsèment les plaines de Beauce ou de Picardie notamment : Elles servaient à remiser un temps les machines et les outils agricoles et sont les abris permanents de toute la faune, la flore et tous les artefacts de ces espaces champêtres. Elles forment finalement des lieux paradisiaques pour les enfants des campagnes. Les remises seront les objets d’un autre texte de ce blogue.
A travers les chaumes meurtrissant de leur pique les mollets, l’enfant marchera d’un pas décidé vers la meule choisie, qui constituera pour lui le lieu unique de quelques heures d’un bonheur intense et inoubliable.
Il faut évidemment investir cette forteresse, en escalader les murailles et à cet effet, il fera un crochet par la remise à l’orée de laquelle il ramassera quelques solides bois morts.

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Aux pieds des remparts de paille faisant front à la remise – pour ne pas être aperçu - l’enfant plantera les premières branches dans les interstices accessibles de ces briques de paille ; puis il gravira cet escalier de fortune jusqu’à ce qu’il se retrouve au sommet de cette île blonde et éphémère.Là-haut, après avoir poussé les moyettes retenant la bâche de mauvais plastique, il la roulera soigneusement sur un des côtés pour libérer ce qui ira vite devenir l’espace du salon de la plus haute tour.
A grande peine, quelques briques intérieures seront déplacées pour former les créneaux salvateurs de tous les regards.
En creusant le sommet de cette immense brioche, l’enfant découvrira qu’elle est désormais le squat de toute une faune chassée de son domicile originel par les batteuses titanesques : sauterelles, fourmis, guêpes, mulots, orvets, les serpents de verre, voire des couleuvres, alouettes et bien d’autres s’y seront réfugiés après les moissons. Du reste, cette population sera immanquablement de nouveau dérangée lors de l’inévitable engrangement de la meule.
Après tous ces efforts, en sueur, couvert de sueur et de poussière, décoré de centaines de fétus, l’enfant s’allongera enfin dans son nid croustillant ; la tête appuyée sur un morceau d’une botte sacrifiée à ce besoin.
Il fixera le ciel, dénombrera les quelques nuages blancs s’affolant dans l’azur, repèrera l’éventuelle alouette et enfin, soupirera d’aise et de grâce.
Il lui faudra maintenant compter une à une ces secondes de bonheur et de paix.   
Bientôt, il se dressera nonchalamment pour inspecter les alentours et se rendre compte qu’aucune autre âme importune ne hante son paradis.
Au loin seulement, le nuage d’une dernière moisson et le son du clocher émergeant du vallon où sieste le village des adultes.
Alors, parce qu’il est à un âge où le corps intéresse sans trop inquiéter encore, il le libérera incontinent de tous ses vêtements : Les tennis sautent ; la chemise vole puis le short et le slip seront jetés hâtivement, non loin quand même.
Il s’étendra de nouveau, mais cette fois complètement nu, livrant voluptueusement tout son être à la grâce du ciel, du vent et du soleil.
D’un côté les caresses précises de l’infini firmament et de ses éléments, et de l’autre, la gratte, la pique, le chatouillis des insectes et de la paille non exempte d’orties voire de ronces. Ce seront le sucré et le salé, le chaud et le froid, l’aigre et le doux qui agiteront bientôt son sang et ses sens pour provoquer peut-être une érection qui sera certainement saluée d’un rire fier et cristallin.
Les mouches, les guêpes seront impitoyablement chassées à coup de slip et de jurons étonnants et les sauterelles harcelées jusqu’à la fuite.
L’enfant somnolera ensuite un bon moment dans le chassé-croisé voluptueux de tous ces contraires.
Après combien de temps viendra l’envie de pisser puis de partir ?
L’enfant se lèvera alors de toute sa hauteur, bravant ainsi les impossibles regards, puis, les mains sur la nuque, il libèrera tout sourire et en archidiacre le jet de son urine à la grâce du vent et de l’altitude ; sans pour une fois tenir le truc, c’est plus rigolo ainsi, bien sûr.
Alors, du haut de la meule, il jettera ses vêtements que le chien, revenu d’on ne sait où viendra renifler en remuant la queue ; il remettra rapidement et scrupuleusement les lieux en place ; il glissera agilement le long de la paroi dorée et se rhabillera hâtivement non sans soupirer.   
Il faut bien rentrer et quitter son paradis : étriller et brosser le chien ; aller chercher le lait et les oeufs à la ferme voisine ; avaler ces maudits salsifis ; finir les devoirs de vacances ; prendre un bain ; enfiler ce foutu pyjama puis constater qu’il est déjà vingt-deux heures pour aller se coucher en traînant des pieds. Heureusement, il y aura la lecture de Jules Vernes ou de Bob Morane sous les draps à la lampe de poche jusqu’à pas d’heure permise.
Avant de partir, l’enfant jettera un dernier regard à meule qui, dans une semaine au moins, aura disparu à jamais.
Toutefois, à l’ouest de la remise, s’étend un magnifique champ de maïs : Voici de nouvelles aventures en perspective !

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M
Je pensais que ça n'interressait personne ce truc !Je n'ai donc jamais écrit la dernière partie...Et la première à réclamer la suite, c'est la Petite Renarde !Faut que je m'y remette alors...
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P
j'attends toujours le troisième épisode... depuis le 20 août ! je suis très patiente...bises
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W
la roue tourne...dans le premier épisode: pas fauché; dans le deuxième, déjà sur la paille...
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