La destinée d’Harry Potter 3/7
D’après les statistiques, c’est à onze ans que l’on meurt le moins…
Quand je dis « onze ans » c’est en fait variable : Il faut lire quand l’enfant est à un poil du poil ou du taquet de la règle…
Vous m’avez compris hein !
Je ne vais pas vous faire un dessin quand même.
A onze ans disons, l’enfant est immortel ; son corps est au maximum de sa souplesse et de sa puissance ; son esprit est blindé et forgé de tous les plus grands rêves de l’enfance.
Bref, il est indestructible et insupportable à chier aussi (1)
Il est parfois potentiellement dangereux (2)
Il (ou elle) ne veut plus être un enfant ; tout ce qu’il veut c’est d’être un adulte et de pouvoir enfin en tout liberté et dans le monde idéal qu’il s’est fabriqué ou qu’on lui a fabriqué, faire sa place – évidemment au soleil – selon ses désirs, rêves et projets.
D’ailleurs, tous les plans et descriptifs du grand projet sont dans la poche de sa culotte (courte éventuellement)
Dans ma note du 30 mars, je vous écrivais que dans la vie, il pouvait y avoir plusieurs âges : trois, quatre, cinq…
En fait, il n’y en a que deux : l’âge de l’enfance et l’âge de l’adulte.
Point à la ligne.
Personne ne garde son enfance dans la poche et rares sont ceux qui tâchent de la retrouver ou d’en retracer les plans dessinés la langue pendante des années auparavant.
Beaucoup la ressassent sans jamais la retrouver.
Alors, ils la réinventent, un jour, pour leur plus grand bonheur et sans doute, pour celui de leurs enfants ou petits-enfants…
Moi, je veux mourir en riant aux anges !
En fait,
N’en déplaise à tous les psychopédomachintrucs, l’adolescence n’est pas un âge à part.
On est un enfant ou l’on est un adulte.
L’adolescence n’est que ce passage – de quelques secondes ou quelques minutes en fait – ce pont de corde effroyable ou pas – où notre enfance va basculer dans l’âge adulte.
C’est l’oisillon qui prend son premier vol (3) ;
C’est le têtard qui respire l’air pour la première fois ;
C’est le louveteau qui du jour au lendemain ne pourra plus jamais être apprivoisé et ne deviendra donc jamais un chien ou autre joujou des humains.
Il faudrait que nos pédagogues et nos politiques en aient conscience un jour : Ça peut simplifier pas mal de choses et en éviter d’autres !
En quelques minutes, l’enfant devient un adulte jusqu’à sa mort.
Aucun être humain n’échappe à cette règle (même Arthur Rimbaud qui voulut la violer) et certainement pas Harry Potter qui, un jour en traversant la muraille du quai 9-10, se retrouvera adulte, à la portière du train qui l’emportera vers Poudlard.
J.K. Rawling, Harry Potter, Tome III : Le prisonnier d’Azkaban.
Quand HP monte dans le train qui l’emporte à Poudlard, il n’est déjà plus un enfant.
Il a écouté avec attention certes, les conseils de prudence prodigués par M. Wesleys, son « beau-père » à propos de la menace constituée par Sirius Black, un dangereux criminel qui est à ses trousses.
Sans savoir très bien pourquoi, HP a cependant quelques doutes sur la réalité de ce danger…
Prémonition « littéraire » du héros insufflée par son auteur ?
Ou alors intention de l’auteur de métamorphoser son héros d’enfant en un ado désireux de s’en remettre désormais à ses pulsions et à sa curiosité plutôt qu’à la morale du carcan familial ?
HP est bien à l’âge où l’on s’embarque à l’aube sur un vraquier en partance pour les îles sous le vent ; où l’on désire entendre d’autres sons de cloches et écouter sans retenue toutes les balivernes du premier venu…
Et le croire sur parole cet étranger, quitte à lui vendre son âme, juste pour le fun ou le tout nouveau parfum enivrant de l’aventure et de ce qu’on croit être la liberté.
HP est à l’âge où les portes de son esprit et de son âme sont béantes car toutes les serrures, bobinettes et verrous de l’enfance sont tombés malgré lui ou pas.
Les « dementors » le savent bien et à la première occasion, ils sautent sur le pauvre HP comme le sida sur un bobo parisien, comme des dealers sur un Gavroche de banlieue.
Notre héros ne sera sauvé d’être retourné comme une vieille chaussette que par l’intervention du professeur Lupin.
Où HP comprend alors que le monde dans lequel il s’engage n’est pas vraiment celui qu’il avait imaginé ou celui qu’on lui avait prudemment dessiné ;
Où HP comprend que la société n’est qu’en fait qu’un fatras complexe et souvent dangereux de luttes, de guerres, de compromis, d’arbitrages, de lois, d’institutions, de procédures ou d’autres « systèmes bidouillés et ressassés » passés ou présents sur lequel ses acteurs tentent de vivre avec plus ou moins de bonheur, de clairvoyance et d’ardeur.
Où HP comprend que ces acteurs de la société n’ont toujours pas pour motivation la paix, l’amour, la fraternité ou le bonheur de l’humanité ou de la nature.
Où HP comprend que les êtres humains ne sont pas rangés en deux catégories simples et idéales : Les Bons et les Méchants, mais que leurs esprits, leurs désirs, leur humeur et leurs actes sont sans cesse nuancés et déformés par les multiples aléas de la vie et le comportement des autres.
Quel qu’ils soient !
Le dangereux criminel se révèle bientôt un quasi-père ; le gentil animal de compagnie se transforme en salaud pitoyable ; le noble professeur subit par période une terrible et dangereuse sauvagerie.
L’adulte statufié par l’enfant se délite ou s’effondre sous les yeux de l’ado et se transforme en un personnage ballotté entre l’estimable, le pitoyable et l’infernal.
HP, Hermione et Ron n’auront plus qu’à déchirer leur carte de l’enfance et jeter leurs estampes maintenant détrempées de larmes.
Ils sentiront alors qu’il vaut mieux parfois être orphelin brimé, ou une demie moldue ou encore rouquin de basse extraction plutôt qu’un loup-garou accidentel et incurable ou un centaure de naissance.
Et sous ce monde bringuebalant courent d’obscurs souterrains insoupçonnés où s’agite et se bat tout un autre monde de secrets, de rancoeurs et de vanité.
Au hasard d’un de leur tournant, notre HP aura la révélation de l’Histoire, de son histoire, de son origine, la révélation du temps.
Car si l’enfant n’a ni passé ni avenir, l’adolescent prend de plein fouet souvent toute la mesure infinie de sa trame et de son drame.
Toute la dure réalité des tenants et l’hypothétique désir des aboutissants…
Il s’aperçoit à la fois qu’il n’est plus le maître d’une destinée forgée à coup de rêves tendres et qu’en plus, il est quelque peu l’esclave de son hérédité et de l’Histoire des vivants et des morts.
On n’échappe pas plus à ses gènes que l’on ne maîtrise son destin.
Nul ne naît de la dernière pluie et nous ne sommes que des gouttières, des larmiers.
Dans la fin de ce troisième tome, Rowling use d’un artifice très intéressant à cet égard.
Harry, sur le bord du lac, menacé par les dementors en est une fois de plus sauvé par ce qu’il croit être le fantôme de son père.
En réalité, c’est lui-même, remonté dans le temps, qu’il aperçoit et qui sauve sa propre vie.
Oui, c’est de la sorcellerie et du roman !
Vraiment ?
C’est sûr que si l’Histoire ne nous apprend rien et ne se répète jamais, il est utile pour bien initier la sienne, de la connaître et de la comprendre.
La fin de ce troisième roman voit s’envoler Sirius Black (Une étoile noire) porté par un hippogriffe, à la fois lion, aigle, cheval, centaure et une espèce de sphinx finalement.
C’est l’Antiquité retrouvée, blanchie et libérée s’enfuyant vers d’autres énigmes à poser.
HP est maintenant un jeune adulte, un écuyer fin prêt pour partir à la conquête du Graal.
A suivre…
Première partie
Deuxième partie
(1) Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Chapitre 11
(2) Jean-Paul Sartre, l’enfance d’un héros
(3) Richard Bach, Jonathan Livingston le Goéland
Fin de loup