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Martin-Lothar

Quatrième spectre (le jeune chasseur)

14 Septembre 2006 , Rédigé par Martin-Lothar Publié dans #Runes

Waldi était le premier fils de Uder, chef de la tribu des Hergs et vécut quelque part en Dordogne, il y a près de 20.000 ans.
Ce soir-là, il était sur sa couche dans la dernière des grottes des cavernes tribales à se tordre de douleur.
Son père venait en effet de lui donner une raclée magistrale pour le punir de sa bourde du jour.

Au début de l’automne, ayant été marqué des premiers signes de la puberté, Waldi fut admis parmi les chasseurs.
Ses premiers jours de chasse se passèrent avec fierté, bonheur et succès, mais hélas, le dernier fut une catastrophe.
Derrière un tronc d’arbre barrant l’étroit passage entre des rochers, Waldi avait pour mission d’empêcher un éventuel cerf de s’enfuir et de le renvoyer si possible vers les chasseurs poursuivants.
Il attendit vainement plusieurs heures avant d’être distrait par les alentours et surtout d’être attiré par les baies d’un arbuste un peu plus en hauteur.
Laissant sa lance contre le tronc, Waldi grimpa quelques mètres et à peine eut-il englouti le premier fruit que des cris l’avertirent de l’arrivée d’un cerf.
Dans sa précipitation à redescendre, il glissa et s’étala dans la pente alors qu’en contrebas, l’animal sautait tranquillement le tronc pour disparaître à jamais.
Les poursuivants ayant vu la scène entourèrent ce pauvre Waldi qui passa alors un très mauvais quart d’heure d’insultes et de coups : Pour avoir ainsi laissé partir un tel gibier, Waldi avait gravement offensé les chasseurs et toute sa tribu.

De retour au campement, son père compléta lourdement la raclée et le consigna dans la grotte du fond où jusqu’à nouvel ordre, il devrait s’occuper du vieux Nou, son grand-père qui y agonisait depuis plusieurs semaines déjà.
Le pire fut que Waldi ne partirait pas le lendemain avec la tribu pour participer à la « grande trappe » d’automne.
Il s’agissait d’une chasse festive et itinérante de plusieurs jours organisée chaque année et qui rassemblait tous les membres valides de la tribu : Hommes, femmes et enfants.
Waldi devra donc rester seul durant plusieurs semaines au fond d’une grotte à ne se nourrir que de baies et de racines pour surveiller un vieillard paralysé et plus ou moins comateux qu’il lui était interdit – sous peine de mort - de quitter un seul instant.
Ce fut avec le cœur lourd et les larmes aux yeux, que le garçon regarda toute la tribu partir le lendemain à l’aube.

Cette première journée fut insupportable de vide et de solitude : La peine et la honte empêchaient Waldi de dormir et son grand-père ne sortit pas le moindre instant de son sommeil fiévreux.
Waldi resta prostré tout ce temps près du feu à chantonner tristement en regardant les lueurs des flammes courir sur les parois claires de la grotte.
Au milieu de la première nuit, pour chasser son ennui, le jeune homme prit dans le feu un bout de bois à moitié brûlé et assis, s’amusa un long moment à tracer des traits et des courbes aléatoires au bas de la paroi.
Se relevant, il dessina plus haut un cercle, un long trait vertical en dessous, puis d’autres traits à l’horizontal ou à l’oblique.
S’arrêtant et se reculant, il contempla longuement le résultat et se dit en riant « Tiens, on dirait un bonhomme ! »
Aussitôt, l’image du cerf manqué et maudit lui traversa le cerveau et comme mu par une sorte de rage vengeresse, Waldi entreprit d’en dessiner la silhouette d’abord toute petite puis de plus en plus grande.
A peine eut-il dessiné le dernier bois du plus grand des cerfs qu’il entendit un râle derrière lui.

Waldi se retourna et aperçut que son grand-père s’était réveillé et dressé sur les coudes, contemplait avec ravissement les dessins de la paroi.
Cet évènement tenant du miracle augmenta considérablement l’ardeur du garçon pour son œuvre et ce d’autant plus que son grand-père le défia bientôt de dessiner d’autres animaux.
Waldi s’exécuta volontiers et rapidement, la paroi se remplit de tout un bestiaire familier qui fut salué avec ferveur par le vieillard.
Cet enthousiasme poussa Waldi vers plus de perfection encore et il se rappela que petit enfant, il s’amusait à teindre des cailloux ou des bouts de bois avec des argiles ou des terres colorantes.
Maintes fois aussi, il avait appliqué ses mains pleines de teinture ou de sang sur des rochers ou des parois de grotte pour en découvrir, émerveillé, « le négatif ».
Il se dit que ce serait encore plus réaliste et très original de teindre ses silhouettes animales.
Il y avait dans la grotte une petite réserve de diverses terres et argiles de différentes couleurs et en premier lieu destinées à la pharmacopée ou aux maquillages de guerre ou d’apparat.

Hélas, les premiers essais avec de l’ocre mouillée furent lamentables : La teinture ne tenait pas ; elle coulait en effaçant les traits ou perdait sa couleur en séchant.
Pendant toute une nuit, Waldi et son grand-père réfléchirent à des recettes de teinture qu’ils testaient aussitôt.
Finalement, à l’aube, un mélange chauffé d’argile, d’eau, de graisse et de résine semblant idéal, Waldi entreprit de teindre quelques dessins.
La réussite fut totale : Plus la peinture séchait, plus elle gagnait en résistance, en éclat et en couleur et le jeune homme comme son grand-père fut stupéfait du résultat.
Durant plusieurs nuits et plusieurs jours, Waldi multiplia alors dessins et peintures sur toutes les parois de la grotte et au plus haut qu’il puit y accéder.

Un matin, l’argile vint à manquer et le garçon obtint du vieillard l’autorisation de quitter plusieurs heures la grotte pour en récolter.
De retour en fin d’après-midi, Waldi constata avec terreur que la tribu était revenue : A n’en pas douter, son père le punirait de cette absence en le battant à mort.
Il pénétra dans la caverne tel un supplicié sous les regards navrés de quelques chasseurs et se dirigea vers la grotte du vieillard.
Une foule compacte en bouchait l’entrée et s’écarta pour le laisser entrer.
La grotte était pleine à craquer d’hommes, de femmes et d’enfants qui bouche bée et dans le plus grand des silences contemplaient, abasourdis, les fresques éclatantes de couleurs.
Les lueurs frémissantes de plusieurs torches faisaient vibrer les peintures et l’on eut dit que certains animaux s’animaient sur les parois.

Waldi résigné à prendre sa raclée mortelle en public se fraya un chemin vers son père qui, debout, appuyé sur sa lance fixait des yeux un grand cerf ocre.
Alors, le chef Uder tourna vers son fils un visage radieux et  dit en riant aux larmes : « Au moins, mon merveilleux fils, tous ces animaux magiques ne t’auront pas échappés : Tu es vraiment un grand chasseur ! »

Waldi, fils de Uder, chef de la tribu des Hergs, vécut jusqu’au grand âge de trente-trois ans. Il voyagea dans toute la contrée en répandant un peu partout sa technique de l’art pariétal. Il mourut dans l’effondrement d’une caverne qu’il était en train d’orner.

 

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S
Comme si on y était... . Une petite merveille. J'adore celle-ci!
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M
<br /> Still : Merci. Pour tout te dire, je n'y étais pas. Je suis né quelques années après. Bises<br /> <br /> <br />
M
Tout s'explique simplement quand tu le raconte.
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B
Mowgli, pour ce conte, j'ai mis un lien dans le post-it express du Cerisier.
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B
et je n'ai qu'un mot à dire : magistral. Ciselé comme un bijou. Je n'en dirai pas plus, j'en reste sans voix. Merci.
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M
Pierre-Jean : J'ai dû improviser pour les noms (je n'ai pas l'annuaire des peintres de -20 000 ans) et Waldi est bien ce que tu as dit (Bravo)En remarque, il y a aussi Uder(zo) et la tribu des Herg(é)...
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P
Et dans la descendance du cerf épargné naquit Bambi. (Pas celui qui ce prend pour Peter Pan, celui rendu célèbre par Waldi Snè).
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