Triple galop
8 Octobre 2006 Publié dans #Runes
J’avais à peine douze ans quand mes parents m’offrirent des leçons d’équitation.
Inutile de vous dire qu’en grand amateur de cow-boys, de Zorro et d’autres westerns, j’étais aux anges.
Je rajoute qu’en tant que grand lecteur à genou de « l’étalon noir » (notamment) de chez la Bibliothèque Verte, je frôlais alors le Nirvana à grand pied bleu grave !
La première leçon fut mémorable.
Après avoir senti à quel point un cheval pouvait puer ; après avoir réalisé combien il est difficile de grimper sur un tel truc qui bouge tout le temps et après s’être pris un bon mal de tête à tenir convenablement les rênes, le moniteur nous entraîna dans une ballade d’initiation…
Comme toute initiation, cette première leçon n’avait pas d’autre but que de nous apprendre combien il restait à apprendre pour devenir enfin un cavalier pas trop mauvais.
Au pas, ces juments de manèges sont un délice de chez Panurge : En bonnes professionnelles, elles se foutent totalement du péquin qui les chevauche et suivent aveuglément le cheval et les ordres du moniteur.
Au premier trot, tout se complique car les braves montures continuent bravement de se soucier comme d’une guigne des attitudes rapidement burlesques de leur apprenti cavalier.
Cette première leçon se termine rapidement et sans galop enivrant faute de combattant !
Au soir, j’en avais plein le cul et j’étais surtout frustré de n’avoir pas chargé tout mon saoul les moulins de mon coeur sur mon fougueux destrier.
La deuxième leçon sapa complètement mon entrain : Il ne fut plus question ni de balade bucolique, ni d’espoir de galop dans les champs infinis, mais d’un manège en tourniquet des plus ennuyeux que l’on puisse ne jamais cauchemarder.
Ceci étant, on apprend ainsi à tel point le cheval est loin d’être une « machine » et que cet être vivant sait parfaitement rendre esclave les rejetons d’une race qui se dit en être le conquérant éternel.
On apprend ainsi à quel point l’instinct et la sensibilité peuvent prendre le pas (et le sabot !) sur une prétendue intelligence supérieure.
Les animaux nous rappellent tous les jours que notre corps est bête comme nos pieds de nez.
La troisième leçon fut une torture abominable : Nous cédâmes le pas pour un trot « sans étrier » de plus d’une heure !
Ceux qui ont connu ce genre d’exercice savent à quel point l’intérieur des cuisses peut faire souffrir l’abomination pendant plusieurs jours et plusieurs nuits après !
Pourtant c’est le seul traitement permettant d’atteindre enfin le nirvana : Lancer son cheval dans un galop effréné et jouissif en conservant suffisamment d’assiette et de maîtrise pour que tout se termine pour le mieux dans le meilleur des mondes équestres.
C’est vrai que ce jour est venu où ma brave mémère de jument s’est lancée dans un galop des plus pépères qui le lendemain m’a donné envie de vite remettre le pied à l’étrier !
Et puis vint le saut d’obstacle qui confirme un jour à tout cavalier que s’il n’a pas vraiment confiance dans son cheval, il lui faut absolument aller faire pipi avant de se mettre en selle.
Arriva ce jour enfin où je me suis retrouvé face à museau avec un cheval du nom de Parias : La terreur du manège.
C’était un étalon noir de pur-sang, un ex-cheval de course.
C’était une bête intenable, cabocharde et qui, si elle n’avait gagné aucune course, ne pensait qu’à galoper pour oublier un peu de monter à tous crins la première jument venue.
C’est le genre de cheval qu’on prend une heure à seller et qui vous nargue grave en vous emmerdant un maximum quand vous voulez lui foutre un mors où il faut.
En plus, l’animal piaffe sans arrêt et ne supporte pas une seconde de ne pas être le meneur ou le premier d’une troupe.
Au bout de quelques minutes de balade, je me trouvai évidemment loin devant tout le monde à cheval sur ma bête de course.
Vint la grande ligne droite à la sortie du bois qui était d’ordinaire réservée au grand galop.
Moi, je n’ai rien demandé alors, je le jure, hein !
Le Parias est soudain parti au galop « à l’arraché » sans que je n’y puisse mais.
Putain, ça décoiffe ce genre de bestiole hein !
Quand on a l’habitude de conduire un 2 CV, c’est vrai qu’un Ferrari, ça change un peu du côté de l’estomac notamment.
J’ai tiré sur les rênes pour l’arrêter : Vas te faire voir !
Je lui ai crié de se mettre au pas : Cause toujours.
J’ai laissé alors tomber en fermant les yeux et en serrant les cuisses, les dents et les fesses, toutes en même temps.
Il s’est enfin arrêté net à la lisière d’un autre bois sans que ce ne fut en aucun cas de mon fait ; Je le jure.
J’ai failli descendre pour pisser, voire gerber…
J’ai pourtant flatté Parias par de larges caresses à l’encolure et je l’ai félicité pour ce très beau galop par les mots les plus amicaux.
Il faut toujours flagorner un cheval, même s’il vient de vous jouer un sale tour de con !
D’un coup d’œil alors, je me rendis compte que le reste de la troupe n’avait pas suivi et de loin !
Il fallait donc retourner aux nouvelles.
Parias fait demi-tour tendrement à ma demande et part dans un petit trot pépère (il s’était bien défoulé cet enfoiré)
C’était à moi alors de prendre mon pied : Je lui hurle « au galop »
Au premier galop, Parias s’est fait plaisir ; au deuxième, je sais qu’il a tout fait pour me faire plaisir.
Et j’ai pris enfin mon grand pied bleu de chez Nirvana car je n’avais plus peur et Parias a redoublé de force et de rapidité tout en prenant enfin « soin » de moi.
Nous retrouvâmes la troupe retardée par je ne sais quel problème.
Je retiens Parias qui d’un calme olympien laisse passer sans piaffer d’un sabot la dizaine de juments qui bientôt partent dans un galop de routine.
Mon cheval et moi attendons que la troupe ait terminé sa course pour enfin la rejoindre.
Parias au pas, puis au trot et enfin dans un galop légendaire.
Ce troisième galop fut triple, magnifique, inoubliable.
Pendant quelques secondes, je fus le superbe héros d’un grand roman d’aventure.
Pendant quelques secondes seulement.
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