L’enfance des moissons (3/3)
Dédicace obligée : A la Petite Renarde qui m’a tanné pendant plus d’un an pour que j’écrive cette dernière partie.
L’alouette sera en sa vigie cet après-midi-là : Piquée dans le ciel, sous le soleil, elle luttera facilement contre la faible bise.
L’enfant longera le champ de maïs jusqu’à la remise boisée avec ardeur malgré les griffures des éteules hérissées des blés moissonnés.
Il en inspectera les murailles cannelées dans l’espoir d’apercevoir quelque corridor ou chambre secrète, mais il sait que l’on ne rentre pas n’importe comment dans une telle forteresse.
Il y a toujours une entrée, une antichambre dont la paroi d’une ligne de plants ferme une coursive principale menant au cœur du labyrinthe.
Ce sera le coin le plus ombrée du champ en lisière de la remise où l’ensemencement commença : En arc de cercle, ce parvis sera pavé de vieux sacs d’engrais ou de semences ; le sol de terre craquelée sans ombre est le forum affairé de tout un minuscule peuple d’insectes multicolores.
Il en fera le tour doucement en scrutant l’opportunité du couloir principal, de la voie royale dans laquelle il s’engagera bientôt en écartant deux plants.
Quelques mètres plus loin, l’atmosphère changera étrangement : Les tiges seront de plus en plus hautes au point de le dominer d’une bonne tête et les sons de la plaine s’estomperont.
Il y aura aussi une touffeur certaine qui ne pourra qu’augmenter l’inquiétude produite pas de nouveaux bruits insolites.
L’enfant sera alors dans un autre monde inconnu, fermé, à l’abri de tout et livré à lui-même.
Il souhaitera alors que son chien vienne à lui sinon pour le guider, du moins pour le rassurer par sa présence.
Mais l’animal, trop insouciant des frissons de son jeune maître, se sera déjà perdu dans une course lointaine.
L’enfant se souviendra alors de sa lecture clandestine du soir précédent à la lueur d’une lampe de poche sous la tente d’un drap.
C’était la légende du roi Minos et du labyrinthe de l’architecte Dédale.
L’enfant se verra alors tel Thésée s’enfonçant dans un dédale légendaire parmi les feuilles coupantes et les toiles cotonneuses des araignées d’Ariane à la recherche du Minotaure mangeur d’hommes.
Secrètement, il espérera y rencontrer un compagnon de son âge : Peut-être son pote Eric qui aura eu la même idée que lui ou alors, Marie-Paule « sa fiancée » qu’il aura le mérite et le courage de sauver des griffes du maître monstrueux de ces lieux.
Mais l’enfant se sentira bientôt très seul et aux abords de la première chambre, il sursautera en levant toute une compagnie de perdrix qui s’enfuira dans un bruit pourtant familier.
Il se rassurera en suivant des yeux le vol caractéristique de ces oiseaux curieux.
La légende racontait que Dédale avait un jeune neveu génial nommé Talos qui suscita la jalousie de son oncle en inventant des choses superbes tel le compas ou la scie.
Un jour, pris de colère, Dédale poussa Talos du haut d’une falaise pour se débarrasser de ce concurrent trop gênant.
L’architecte ne saura jamais que la déesse Athéna transforma le malheureux enfant en perdrix avant que son corps n’atteigne le sol.
La perdrix Talos aura eu plus de chance que son cousin Icare foudroyé par le verbe brûlant du soleil et c’est pourquoi elle vole désormais si bas.
L’enfant pénétrera alors dans cette première salle du champ et constatera rapidement qu’elle a été essartée par des sangliers qui y trouvèrent refuge une nuit.
Le sanglier sera désormais « son Minotaure » qui sans aucun doute se trouvera dans une prochaine salle de ce labyrinthe.
L’enfant fera une courte pause dans son aventure en s’asseyant au milieu de cette pièce illuminé d’un bon rayon du soleil.
Il pensera à s’allonger pour profiter au mieux de ce refuge providentiel ; fermer les yeux en se laissant envahir indolent par le puissant courant du temps et de l’espace.
Soudain, un mouvement et un léger bruit attireront son attention sur sa gauche : Un serpent glissera lentement vers l’ombre des plants.
L’enfant se lèvera d’un bond trop rapide et son pied dérapera sur la terre le faisant tomber en arrière.
Dans la chute, sa tête heurtera violemment une pierre en l’étourdissant un long moment.
Il se relèvera enfin en se maudissant d’avoir eu si peur de ce qui ne pouvait être qu’une inoffensive couleuvre et constatera par un peu de sang sur ses doigts qu’il se sera légèrement blessé au crâne.
Il pensera alors à faire demi-tour et à rentrer chez lui, mais il décidera finalement, malgré une légère migraine, de continuer son exploration coûte que coûte.
Il reprendra alors son chemin dans ce corridor de plus en plus bruissant du peuple des maïs.
Il rencontrera alors une poule faisane qui s’enfuira d’une cocasse lenteur, quelques lapins agités et même un magnifique lièvre qui l’évitera royalement.
Sa blessure à la tête se fera cependant de plus en plus douloureuse et ce sera en tenant un mouchoir appliqué dessus qu’il se fraiera enfin un chemin jusqu’à une nouvelle salle.
L’enfant ne saura jamais si la vision qu’il aura alors sera réelle ou sera le fruit de la fièvre éventuellement provoquée par sa blessure : Au milieu de cette nouvelle clairière se tiendra debout un garçon d’environ seize ans qui lui ressemblera étrangement.
L’enfant reconnaîtra en effet en cet adolescent beaucoup de traits de son visage, la couleur des cheveux, le teint de la peau et d’une manière générale une silhouette qui lui serait familière.
Cependant en ce jeune homme, il ne dévisagera aucun de ses frères aînés.
Il portera de plus les mêmes vêtements à tel point que l’enfant croira un moment se voir dans un miroir, mais vieilli de plusieurs années.
Quand l’enfant débouchera dans cette clairière, le jeune homme sera occupé à frapper violemment le sol avec un long bâton.
L’enfant devinera bientôt avec horreur qu’il tapera sur plusieurs cadavres sanguinolents de faisans.
Cet adolescent qui lui ressemblera tant aura ainsi assassiné toute une famille de ces oiseaux sur les corps desquels il s’acharnera longtemps.
Dans une nuée de plumes, le jeune homme ayant jeté son arme poissée de rouge, ramassera d’une main une canette de bière et d’une autre une cigarette fumante puis regardant l’enfant en ricanant et en grimaçant il lui proposera d’une voix aigre une gorgée et une taffe.
L’enfant en tombera sur les genoux et fermant les yeux, il se voilera la face de ses mains tremblantes.
Quand il regardera de nouveau, l’adolescent aura disparu et il ne restera à terre qu’une bouteille vide, un paquet de cigarettes froissé et quelques plumes
L’enfant se lèvera alors et comme un fou, fuira à travers les plants afin de sortir au plus vite de ce champ.
Une fois au-dehors, il tombera enfin à plat ventre dans les chaumes et éclatera en sanglot.
Plus tard, bien plus tard, quand l’enfant sera devenu homme, il lira que la légende du labyrinthe du roi Minos est une de plus complexe et des plus terrible qui soit : Ce n’est pas forcément Thésée qui sortit vivant du labyrinthe et en tous les cas, si ce fut ce prince qui s’en libéra, ce n’était certainement plus le même.
Nous ne sortons jamais de notre labyrinthe, même si nous croyons n’y être jamais entrés.
D’un labyrinthe