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Martin-Lothar

Quatorzième spectre (Le vieil homme et l'écureuil)

18 Août 2007 , Rédigé par Martin-Lothar Publié dans #Runes

 

« Quo non ascendet ? » (Jusqu'où ne montera-t-il pas ?) Devise de Nicolas Fouquet (écureuil) 1615-1680 surintendant des finances de Louis XIV.

C’était un jeudi de mai 1969, le lendemain de mes douze ans.
Pour cet anniversaire, mes parents m’avaient offert un ballon de foot, un vrai de vrai, en cuir noir et blanc ; j’étais fou de joie.
En fin de matinée, nous partîmes tous les trois pour Rambouillet dans la 4L de Papa pour m’inscrire en classe de sixième du lycée.
La grande montée vers les bâtiments m’impressionna beaucoup : C’était énorme comparé à la minuscule école de Clairefontaine, près de Saint Arnould où nous étions un peu en famille, ma poignée de copains et moi.
Un bahut de plus de mille élèves qui étirait son béton blanc à travers un parc immense de pins, de bouleaux et de châtaigniers : J’eus vraiment une belle angoisse de découvrir ça et d’imaginer à la rentrée prochaine ma rencontre avec une foule d’inconnus de tous âges pour m’appliquer à de nouvelles disciplines bien plus ardues.
Quelques années plus tard, je lirai dans un journal éducatif que ce lycée avait été classé en queue de peloton d’une liste des lycées franciliens avec la mention « club Med »

Les formalités remplies, nous fîmes une courte promenade dans les rues de la ville que je découvrais en fait.
Maman acheta de quoi pique-niquer et nous gagnâmes le parc du château.
Nous nous installâmes au bord d’une vaste pièce d’eau ovale, nommée « le Rondeau » et surnommée aussi le « baisodrome » par les lycéens, où nous déjeunâmes jusqu’à ce que mes parents me congédient armé de mon ballon, pour qu’ils aient la rare occasion de faire tous deux une sieste câline, adulte et printanière.
Je ne me fis pas prié pour aller m’éclater le plus loin possible de mes deux chers dormeurs et tout en poussant le ballon du pied, j’explorai les buissons et les bosquets du parc.
Au détour d’une allée, je tombai soudain sur un barrage formé d’une lourde barrière métallique près de laquelle un CRS somnolait debout.
Je fis demi-tour le plus vite possible car j’ai toujours un peu craint ce genre de « soldat » bien que celui-là avait l’air plutôt bonhomme et qu’il ne portait ni casque ni bouclier.
Je m’engageai alors dans une petite sente qui, quelques mètres plus loin, déboucha dans une clairière où trônait une statue de Diane chasseresse.

Je trottinai un moment autour du monument en tâchant de garder la balle au pied et pris soudain d’une belle excitation, je tapai un grand coup dedans pour la faire s’envoler et non sans jurer grave, je l’aperçus disparaître dans un épais mur de buis.
Ce bosquet de Diane était une impasse en fait, mais à cet âge, on ne s’embête pas avec ce genre de complication et l’on tâche de trouver la voie la plus courte à travers les taillis pour retrouver son ballon.
Je me glissai à quatre pattes dans un trou formé dans le feuillage et les troncs des arbrisseaux et parvins dans une nouvelle allée sans toutefois apercevoir l’ombre de la balle.
J’arpentai les bas-côtés pendant plusieurs minutes en scrutant avec minutie, mais en vain.
Cette recherche me fit découvrir une nouvelle avenue se dirigeant vers où je pensais que mon ballon se fut perdu et qui me mena sur une vaste terrasse fleurie donnant sur le grand canal.

A peine y fis-je trois pas, qu’un écureuil venant derrière moi me fila entre les jambes et couru comme un dératé à travers les parterres de fleurs pour passer à quelques centimètres à peine des pieds d’un vieil homme assis sur un banc.
Je décidai pour m’amuser de suivre les traces de l’animal et m’approchai alors du vieillard qui semblait plongé dans une profonde et triste méditation.
C’était un homme grand et maigre avec une tête de tortue ; il était assis, presque affalé, cassé, rompu et regardait fixement miroiter l’eau du canal, ses longues mains pendantes entre ses genoux à peine écartés.
Je me suis dit le regardant que j’avais vu déjà ce personnage, mais dans l’instant, je n’ai pas approfondi cette question.

Je l’abordai avec mon plus beau sourire et je lui ai demandé s’il avait remarqué l’écureuil.
Il leva vers moi un regard vitreux et avec un mince sourire lâcha, rauque : « Oui, il doit s’appeler Fouquet celui-là »
Un peu surpris et intrigué par sa réponse, je m’assis à côté de lui sans m’inviter et je demandai tout de go s’il connaissait bien les écureuils.
L’homme eut un petit rire nerveux qui éclaira quelques secondes son visage ridé, affaissé, fatigué et dit : « Je les connais tous ces garnements mon garçon, ils font semblant d’être craintif pour mieux vous manger dans la main et vous faire les poches par derrière »
Il toussa et continua : « On les protège ; on les soigne ; on les nourrit ; on les éduque ; on les élève et on les soutient, mais à la première faiblesse, ils vous laissent tomber en oubliant tout de vous et de vos leçons… Ce ne sont au fond que des vaniteux et des ingrats ! »
Surpris par ce discours, je restai pétrifié, bouche bée, fixant cet inconnu qui semblait s’agiter d’une colère froide.

Après plusieurs soupirs profonds, il reprit : « Dis-moi, mon garçon, si un jour, tout le monde t’abandonnait, ceux que tu aimes, tes parents, tes amis et autres, où irais-tu ronger ta peine et tes souvenirs ? »
Me souvenant d’un article lu la veille dans « Tintin » et sans trop vraiment réfléchir, je répondis le plus sérieux possible : « Oh, j’irai en Irlande, voir la Chaussées des Géants, c’est sûr ! »
A ces mots, le regard du vieil homme s’illumina et me fixa longuement avec un intérêt et une douceur extraordinaire.
Il murmura enfin : « En Irlande… La chaussée des Géants… Comme c’est original, oui vraiment c’est très original ! »
Pendant de longues secondes, nous contemplâmes tous deux, silencieux, le paysage du parc où la journée se terminait puis, semblant quelque peu revigoré, le vieil homme me demanda ce que je faisais dans ce jardin.
Je lui expliquai alors notre périple à Rambouillet, le lycée, le pique-nique, la sieste et enfin la perte de mon ballon de foot.
Il m’affirma n’avoir aperçu aucun ballon et me promis de jeter un œil à l’occasion d’une prochaine promenade et s’il retrouvait le précieux objet, de le remettre au gardien du parc pour que je puisse le récupérer.
Il nota même mon nom et mon adresse sur un petit carnet noir et or.
Je remerciai avec chaleur ce curieux bonhomme et le quittai après une bonne poignée de main pour revenir « au rondeau » par le même chemin et malgré une courte inspection encore, mon ballon resta introuvable.

Ayant rejoint, mes parents, je leur avouai la disparition du « cadeau » deux fois cher ; je pris une claque salée et une engueulade poivrée et le plus grave, j’essuyai un refus catégorique d’une battue collective dans les bosquets à cette heure déjà tardive.
Dans la voiture, mon père tempéra quelque peu ma peine en me promettant de revenir au parc le samedi suivant ; ce que l’on fit effectivement, mais le ballon fut introuvable et considéré enfin comme perdu.
Je ressortis alors ma vieille balle en caoutchouc râpé que je ne me lassais pas de regonfler à tout va.

Les jours passèrent ainsi et les grandes vacances se terminaient quand un matin, deux gendarmes se présentèrent à la porte de notre maison en demandant à me voir.
L’un deux portait un paquet sur l’emballage duquel était collée une enveloppe inscrite de mon nom.
Sous le regard consterné de ma mère, j’en sortais une lettre que je lus à haute voix :
Cher Eric (c’est mon prénom), mon cher enfant,
Je suis ce vieil homme avec qui vous avez bavardé sur un banc du parc de Rambouillet un jour de Mai dernier.
Sachez que je garde un souvenir tendre et précieux de notre rencontre.
L’Irlande était vraiment une très bonne idée…
Nous n’avons pu hélas retrouver le ballon que vous aviez perdu et que vous aurez peut-être récupéré par la suite.
Dans cette incertitude toutefois, je me permets de vous en adresser un autre, identique et neuf, en remerciement de votre aide, de votre amabilité et de votre bon conseil.
Finalement, l’écureuil qui vous a mené à moi n’était pas un si mauvais bougre !
Bien affectueusement
Charles de Gaulle


Martin Lothar le 18 mai 2007

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M
Mais où est-tu ???pour le moment nulle part. On verra peut être dans quelques temps si l’envie reviens. Ne t'inquiète pas tu seras l'un des premier informés. De toutes façon je reste par ici.
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M
Alf, mon chaton, tu ne penses vraiment qu'à bouffer hein ! Pff ! Je n'ai jamais mangé d'écureuil, mais je pense que ça doit ressembler à du lapin, du lièvre ou du chat, mais avec un arrière-goût de noisette...Zetron : Merci, c'est sûrement l'expérience.Laouen : Merci. Un navire oui : Ne l'appelez plus jamais CDG !M. : Content de te relire aussi. Mais où est-tu ???Lycaon : Bon ça y est, j'ai flairé ta nouvelle tanière. Je passe un de ces quatre (ou un de ces 7 !)
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L
Le viel homme qui sur la plage de Derrynane déambulait en ce mois de juin 69 m'a beaucoup parlé de toi petit.En fait, Charles de Gaulle est venu en Irlande… retrouver sa jeunesse !
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M
J'aime toujours autant tes spectres.
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L
j'en frissonne... belle histoire pleine d'innocence et de nostalgie.je repense aux miradors qui séparent le Donegal irlandais, du reste de l'Ulster.Pas commun, une même région coupée en deux non?La chaussée des géants est un endroit fascinant, qui doit guérir bien des blessures.bientôt 10ans que j'ai pas mis les pieds en Irlande.Merci pour ces lignes qui m'ont rappelé bien des souvenirs lumineux.M'enfin... le monsieur de ton conte, à force de trainer au bord de la mer en Irlande, il a fini porte avions.bises
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Z
Wahou, je m'attendais pas à une telle chute O_OÇa fait un choc !À part ça je sais pas trop quoi dire devant un texte pareil... je sais pas si c'est le talent, l'expérience ou les deux mais qu'est-ce que t'écris bien. Bravo.
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A
C'est bon des écureuils ?
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