« Vers la fin des années 60, Henri-Noël Grelneau, libraire du Quartier Latin, a eu l’étonnante idée de ne proposer à la vente qu’un seul livre par an. Après avoir jeté son dévolu sur un titre, il en commandait une quantité suffisante pour en remplir entièrement sa librairie. Aux termes de quelques mois d’exploitation, il est devenu évident que son idée ne recueillait pas le succès escompté. Comme il fallait transiger pour survivre, il s’est résolu la mort dans l’âme à sélectionner deux livres par an, à raison toutefois d’un titre par semestre… »
(Vincent Puente, le Corps des Libraires, éditions La Bibliothèque, 2015)
Note
Les bibliophiles, bibliomanes, bibliovores de tout poil, cuir, horizon, papier ou d’autre vélin, ont tout à gagner à se jeter à corps perdu, sur « le Corps des Libraires ».
Du moins, ils devraient passer ce corps en revue, car ils apprendront d’un étonnant essai écrit en 2014 par Vincent Puente, que nos actuels marchands de livres eurent jadis leur peloton dans certaines armées plus ou moins folkloriques, sinon victorieuses.
Ils découvriront aussi que cette antique corporation — qui est un des maillons d'entrepreneurs dans l'illustre chaine livresque qui relie l'auteur au lecteur — possède aussi ses saints, ses héros, ses génies, ses hurluberlus, ses maniaques et ses sympathiques ou dangereux cinglés.
Le susdit Grelneau de la citation n'en étant pas le plus incroyable.
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Ils visiteront dans la foulée des librairies de rêves ou de cauchemars, des lieux impensables, labyrinthiques, impossibles, touristiques, fantomatiques, miniers, claustraux, alpins ou infernaux dans lesquels les clients n'entrent et se déplacent qu'au péril de leur compte en banque, de leur santé, voire de leur vie.
Ce bouquin gouleyant et instructif, titré « le Corps des Libraires », écrit dans un style simple, propre et efficace par Vincent Puente qui n'en est pas à son premier essai, est édité chez les vaillantes et variées éditions « La Bibliothèque » (salut, Jacques Damade !) dont j'ai déjà causé à propos de « Eaux et Lumières » de Georges Groslier.
Du reste, comme tous les titres de cette maison, le plaisir de lire des textes rares, distrayants et intéressants est amplifié par l'objet livresque lui-même : son format de poche, le beau caractère de sa police, et la douceur du toucher de sa couverture aux couleurs tendres et aux motifs séduisants.
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Cela étant, si ces éditions comme tant d'autres désormais, s'adaptent au monde internautique de chez e-Maintenant en proposant certains de leurs titres en numérique, c'est un peu passer sur le corps malade du libraire qui, selon certains affolés, serait en voie d'extinction.
Vaste débat, comme disait le général (De Gaulle, pas Custer).
Pour ma part, je pense que ces deux formats vont encore coexister pendant des décennies et que les métiers de libraire, d'imprimeur et de bibliothécaire ont un bel avenir devant eux, car, comme nous l'apprenons de Vincent Puente, le bon vieux bouquin papier des familles peut s'emporter par d'aucuns en armure du corps sur un champ de bataille pour la survie, comme d'autres le feraient sur une ile déserte pour la distraction.
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On t'aime, le libraire ; reste avec nous.
Fin de loup