Est-ce qu'un 23 avril, un chevalier un peu manche qui rotait au sang chaud pensa à pleurer sur la tombe de l'amer Michel ?
Un 23 avril de l'an de merde 1616, c'est-à-dire, il y a quatre siècles, quatre-cents ans, quatre-vingts lustres, seize générations quelque cent quarante-six mille cierges quotidiens à saint Glinglin, et je ne sais combien de tours de moulins à vent, à fendre ou à vendre, le 23 avril grégorien de cette année disparaissait un certain Miguel de Cervantès, le malheureux papa d'un ineffable Don Quichotte de la Mancha et de son petit frère en génie, l'inénarrable Sancho Pansa (sans parler du cheval et de l'âne)
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Bon, il faudrait dire quand même que la mort de ce poète géant fut sans doute un soulagement pour sa famille et surtout, pour ses voisins.
Parce que le Vieux Miguel, comme tous les génies de son ordre et de sa race, sut comment faire chier son monde profus avec un Ego chauffé aux fers blancs des canons guerriers ou avec son quant-à-soi rouillés des fers du même bois, mais de sinistres prisons ou d'autres culs de basses-fosses ou fesses.
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Parce que le Cervantès fut un fieffé baroudeur, un soldat meurtri, un esclave d'Alger, de Stockholm, voire de Lima, un voleur de tout ou de rien, un escroc d'envergure et surtout un jeune incommensurable, infatigable et fatiguant tchatcheur, avant de devenir le vénérable, précieux et civilisateur écrivain que, de nos jours, nous pouvons encore lire avec joie et intelligence.
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En plus, il était manchot : un pingouin turc lui avait en effet donné pour ça un coup de main à la bataille de Lépante (1571).
Un écrivain d'une seule manche comme le fut du reste un certain Blaise (Cendrars, pas Pascal), un autre poète-baroudeur, trois cents ans plus tard, en 1916, dans un autre combat européen.
Le Miguel, comme le Blaise furent en quelque sorte des « anti-Rimbaud » : ils baroudèrent avant de versifier ou de raconter leur vie à leurs gosses impubères qui n'en avait peut-être rien à foutre des délires du pépé, tant ils étaient occupés à touiter leurs siksanks citoyens, enfin révolutionnaires, élucubrées en herbe et en houblon, la nuit d’avant, sur une place quelconque d'une obscure république engloutie.
Mais l'an 2016 produira sans doute un autre Michel de la Manche...
C’est dans la poche les gens, je le sens…
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Bref, il avait de quoi être l’amer Michel, hein ?
Surtout qu'en 1616, l'Europe aux vieux parapets d'Arthur (le roi et le poète) était déjà et encore à feu et à sang des guerres de religion à la con, de succession à la noix, de mariage de mes deux ou d'héritages imaginaires, et que ses grands, ses princes de dieux ou de prophètes vérolés s'occupaient déjà, actifs, à exporter leurs royales foutaises urbi et orbi, voire vers d’autres « nouvelles Europe ».
Et puis, j'ai appris que Cervantès avait (obscurément) aidé le roi d'Espagne à préparer « la grande armada » contre la reine hérétique d'Angleterre.
Ce fut une tentative d’invasion espagnole qui sombra non pas, par la stratégie de la Royal Navy, mais à cause d'une tempête toute bête, comme la mer d’Irlande sait en faire tous les jours.
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C'est dommage, car il aurait sans doute pu faire un jour un shake-hand à un poète anglois qui mourut comme lui un 23 avril 1616, mais du calendrier de Jules (César, pas Renard, Romain ou Vallès), pas de celui de Grégoire (de Rome, pas de Tour).
Il aurait pu agiter la lance de Don Quichotte sous le nez de ce collègue, voire confrère, sinon con-frère et néanmoins buveur de thé qui fut nommé Guillaume Remulance.
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Quoi, vous ne connaissez pas Guillaume Remulance (1564-1616) ?
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Ben, je vous en causerai le 3 mai prochain.
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Te queremos Miguel Cervantès, permanecer con nosotros.
Illustration : Honoré DAUMIER, 1808-1879, Don Quichotte et Sancho Pansa, 1866-68, huile sur toile, 78 x 120 cm, Nationalgalerie, Berlin, Europe.
Fin de loup