Je ne saurai jamais pourquoi, mais dès lundi dernier, une irrépressible envie d'une pleine platée de merguez et de chipolatas grillées m'a occupé tout le cerveau à tel point que mon efficacité au boulot s'en est ressentie bien basse toute la semaine.
C'est sans doute parce que ces rôtisseries simples et populaires sont le plat favori de certaines confréries sociales, représentatives à jamais des forces humanistes, démocratiques, progressistes, foutrement révolutionnaires, éprises au plus haut degré du service public et rassemblant dans la plus pure et festive camaraderie, une élite confite, sodomite et ventrue de super-citoyens esclavagistes dont nos plus sages et humbles ancêtres, comme les meilleurs des philosophes des lumières ou des ombres chinoises, voire platoniciennes, avaient en vain rêvée et espérée tout le temps de leur chienne de vie de prolétaire de bouse provinciale.
C'est vrai que c'est vachement bon une bordée de merguez-chipos arrosée de pisses à bulles en faux col de chez Grostambour et croustillée par dessus le marché et en vrac de chips bio amoureusement cueillies entre deux rails sudistes ou plus à l'Ouest pourquoi pas.
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Bon, ce soir, je sens que je vais craquer pour bien me merguezer la panse et me chipolater profus l'avaloir surtout que j'ai tout ce qu'il faut pour ça. J'ai en effet un très utile et discret barbecue de cuisine, un appareil composé d'une cuve à eau, d'une grille et d'un fer à rougir pâle et électrique. C'est propre, c'est net, c'est efficace, c'est con comme un ministre intermittent de la culture exeptionnée, ça limite les odeurs et les jets de graisse et c'est à quatre-vingts pour cent nucléaire telle une antique cellule du parti communiste de Tchernobyl du bon temps d'avant le chut ou le cul bas de fosse des lémures de Berlin ou d'ailleurs, du reste.
Il me manque par contre le porte-voix grésillant et casse-couilles au possible pour encourager de mes mots d'ordre sagaces, persillés, salés, poivrés, mais culinaires, pour ne pas dire gastronomiques, les braves camarades saucisses contribuables pendant leur supplice crépitant. Si par hasard, sur le pont cadenassé des Arts, un de mes lecteurs de tout sexe ou poil, voire d'horizon, avait ce genre d'instrument de torture citoyenne, j'en serais preneur aussi goulu friand camé qu'un sénateur de base pour ses indemnités de putes et de champagne.
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Cela étant, j'ai une autre angoisse. J'ai un autre dilemme que je crois aussi insoluble que de savoir enfin à qui appartient vraiment l'État français. Je sais en effet qu'il y a deux méthodes pour griller les merguez et les chipolatas. Soit on les pique de petits trous épars avant de les mettre au bûcher, soit on ne leur fait rien en les aromatisant ainsi du plus insensible des mépris syndicaux.
Il va sans dire que les adeptes de chacune de ces préparations ne se causent plus depuis au moins l'an de graisse 1945. Mais c'est aussi et ainsi que la saucisse de Strasbourg est grande, comme disait Alexandre, Vialatte, pas Le Grand, pff !
Et allez les bleus, d'Auvergne, pas du Brésil, fouchtri de fouchtra !
Fin de loup